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une dizaine. A la barrière Rochechouart, ils bâtonnent méthodiquement six individus. Aux barrières d’Ivry et d’Italie, ils contraignent les passans à donner leurs montres et leurs souliers. La nuit, quai Saint-Bernard, ils tuent un cocher. Aux faubourgs Saint-Jacques et Saint-Marceau, ils pillent les maisons, dévalisent les caves, volent des voitures et des chevaux et s’en retournent vendre linge, nippes, vivres et objets de toutes sortes à leur bivouac du Luxembourg, sous les yeux mêmes de leurs officiers. Dans la banlieue, c’est pire. Au sud de Paris, c’est le pillage continu ; au nord, où les villages ont été abandonnés à l’approche de l’ennemi, c’est la dévastation. Tour à tour, les Prussiens, les Belges, les Brunswickois, les Hanovriens ont passé là. A Garges, au Bourget, à Aubervilliers, à La Chapelle, on marche dans les rues sur une litière de linge en charpie, de vaisselle en miettes, de meubles en morceaux ; par les ouvertures béantes des maisons dont les portes et les fenêtres sont arrachées, on voit des chambres toutes vides, avec des glaces brisées et des tentures en lambeaux. Alentour, non loin de granges incendiées et d’amas de cendres, vestiges de meules brûlées, les chevaux anglais sont au piquet dans des champs de blé mûr.

Chabrol et Decazes se plaignent à Talleyrand qui réclame auprès des ministres alliés. Wellington lui-même déclare à Castlereagh qu’il est prudent d’arrêter les violences, le pillage et « la destruction pour le plaisir. » C’était peine perdue. Si les Anglais observent une certaine discipline, les Prussiens continuent leurs affreux exploits avec l’approbation de Blücher. « Ils n’ont fait que ça, dit-il gaiement ; ils auraient dû faire bien davantage ! »

Les soldats alliés ne sont pas les seuls à faire lourdement peser leur joug. Les royalistes ultras, émigrés à Gand et « émigrés à l’intérieur » prétendent aussi traiter Paris en ville prise d’assaut. Ils se veulent venger des bonapartistes, et ils englobent dans cette catégorie les libéraux, les constitutionnels, les indifférens, tous ceux qui ne partagent point leurs opinions exaltées. Dès Arnouville, les gardes du corps ont montré leur frénésie par d’odieuses violences contre le général de Lagrange, capitaine des mousquetaires gris, coupable à leurs yeux de n’avoir pas suivi le Roi à Gand ; ils l’ont insulté, frappé, lui qui est amputé d’un bras ; ils lui ont arraché son épée, ses croix, ses épaulettes. Le soir du retour du Roi, le 8 juillet, ils saccagent le café