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LA GENÈSE DE « TRISTAN »



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RICHARD WAGNER ET MATHILDE WESENDONK


D’APRÈS LEUR CORRESPONDANCE[1]



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Les familiers de la littérature wagnérienne savaient depuis longtemps qu’un amour mystérieux et d’un ordre particulièrement élevé avait uni le maître, pendant son séjour en Suisse, à sa grande amie et protectrice d’alors, Mme Mathilde Wesendonk. Le fait piquait d’autant plus la curiosité que cet amour s’était emparé de lui au point tournant de son existence, à la veille de ses plus grandes créations, à ce moment décisif de la vie qu’on peut appeler l’heure de la cristallisation. On savait que ce sentiment, né pendant l’élaboration de La Walkyrie, avait provoqué l’explosion de Tristan et Yseult, l’œuvre la plus intime, la plus personnelle du maître, considérée par lui-même comme le type de son drame musical. On savait enfin que, pendant l’année 1858, les conflits complexes et menaçans, engendrés par une passion réciproque longtemps refoulée, mais enfin débordante, avaient forcé Wagner de quitter brusquement Zurich et l’asile, offert à l’exilé par ses généreux bienfaiteurs, M. et Mme Wesendonk, pour se réfugier à Venise. Dans sa Confession à mes amis, Wagner avoua lui-même qu’en ce temps-là il avait connu « l’amour

  1. Richard Wagner an Mathilde Wesendonk. Tageblätter und Briefe, 1853-1871. — Alexander Dunker, Berlin, 1904.