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la ferme résolution des héritiers d’exécuter la volonté de la défunte, et elle joignit même gracieusement à leur dossier quatorze lettres de Mme Wesendonk retrouvées dans les papiers du compositeur. Grâce à ces circonstances heureuses, le roman intime qui a servi de dessous au drame de Tristan et Yseult revit pour nous.

Quoi qu’il en soit de l’affirmation de Mme Wagner, dont je ne mets nullement en doute la sincérité, que Richard Wagner ait ou non désiré la destruction de ces lettres, j’ose dire que Mme Wesendonk n’avait pas seulement le droit, mais que c’était son devoir de les conserver à la postérité. Aucun document n’est plus précieux pour la connaissance intime de Wagner, de sa psychologie, de son caractère, aucun ne nous introduit plus avant dans les arcanes de son être et de sa pensée, et cela au moment le plus important de son évolution. Ailleurs, par exemple dans sa très intéressante correspondance avec Liszt, on se trouve en face de l’artiste et du penseur. Ici l’homme se manifeste tout entier avec son fort et son faible, dans sa grandeur comme dans sa misère. On voit le geste, on entend la voix, et parfois on croit voir ce cœur qui palpite, bondit, se contracte pour rebondir encore, dans la succession rapide et la simultanéité vertigineuse des émotions.

Quant au drame intime qui se joue entre ces deux êtres, il est d’une qualité supérieure et d’un intérêt égal à celui de l’œuvre d’art qui en fut l’expression idéale. Sans doute, il y a dans cette correspondance quelques obscurités et des lacunes regrettables. Toutefois, malgré le vague qui enveloppe les événemens extérieurs, le drame intérieur se reconstitue à une lecture attentive, une fois qu’on a saisi le fil caché qui traverse l’ensemble. Nous essayerons de le suivre, en laissant parler le plus souvent possible, — à travers ses lettres, — l’acteur principal, c’est-à-dire Wagner lui-même.


I. — L’ASILE, IDYLLE ET DRAME À ZURICH

Au printemps de l’année 1849, Richard Wagner s’enfuyait d’Allemagne en grande hâte pour échapper à une arrestation imminente. Quoique chef d’orchestre au théâtre de Dresde et

    mière d’une note qui se trouve en tête du livre. Ou m’assure de bonne source que cette note est de Mme Wagner.