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n’oubliait pas tout à fait ses amis d’autrefois, mais ils se perdaient dans le lointain et lui paraissaient déjà petits.

Au mois de janvier 1865, Mme Wesendonk, qui depuis longtemps n’avait plus vu l’écriture du maître, reçut un mot de Mme de Bulow. Cette lettre, rédigée dans les termes les plus gracieux, lui redemandait « au nom de Sa Majesté le roi de Bavière » qui collectionnait en ce moment tous les manuscrits du maître, un portefeuille donné jadis par Wagner à Mme Wesendonk et contenant un certain nombre d’articles et d’esquisses anciennes. Mme Wesendonk fut sans doute étonnée de ce que Wagner ne lui eût pas fait lui-même une réclamation aussi importante. Ce procédé insolite ressemblait trop à un oubli total du passé et même à un manque de respect pour l’ancien amour, enseveli, mais à jamais sacré. Elle fut jusqu’à se demander si Wagner avait eu connaissance du fait et si l’idée de cette réclamation n’était pas née dans le cerveau fertile de la charmante secrétaire, qui lui écrivait sur un ton si amical et si enjoué. Pour en avoir le cœur net, au lieu de répondre à Mme de Bulow, elle écrivit à Wagner lui-même :


Mon ami ! Mme de Bulow me réclame aujourd’hui par lettre quelques-uns de vos manuscrits littéraires qui sont en ma possession. J’ai parcouru le portefeuille, mais il m’est impossible de vous en envoyer quoi que ce soit si ce n’est sur votre désir personnel. Comme vous devez vous souvenir à peine des feuillets épars rassemblés dans ce carton, je vous en adresse la liste complète et je vous prie de me dire si je dois vous faire cet envoi et quels sont les manuscrits que vous désirez.

Je suppose naturellement que vous avez connaissance de la publication projetée de vos œuvres par Sa Majesté. Je me suis cordialement réjouie d’apprendre par les lignes de l’aimable femme que vous êtes en bonne santé et que vous avez rassemblé vos meilleurs amis autour de vous. Agréez mon cordial salut et gardez-moi votre bon souvenir.

Votre MATHILDE WESENDONK.


À ce mot d’un tact parfait, mais où perce un léger reproche, Wagner répond par une lettre diffuse et embrouillée. Il a l’air de dire que la demande a été faite à son insu, mais il trouve la chose toute naturelle et traite l’affaire comme un détail sans importance. Mme de Bulow n’est pas nommée. C’est ce bon roi Louis II qui est cause de tout. Dans son zèle minutieux, il veut posséder tous les vieux manuscrits du maître. Alors « ne voulant pas le surcharger de travail, le roi s’adresse habilement à des