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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/552

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A l’heure où son royal auteur, fier de son œuvre, et la proposant à l’admiration et à l’imitation des princes et des peuples, transféra à Versailles la résidence officielle de la monarchie, c’est à peine si l’on voyait poindre sous une forme indécise, dans un obscur lointain, le prodigieux changement qui devait substituer au bon plaisir royal le pouvoir de la nation, à la religion d’Etat la plus ou moins grande liberté des croyances, aux ordonnances d’un seul la loi édictée au nom de tous. Alors le triomphe de la France venait d’être consacré par la paix de Westphalie, les traités de Nimègue et la prise de possession de Strasbourg ; la gloire du roi était un dogme que célébraient à l’envi les plus illustres écrivains, et bientôt Bossuet, saluant dans les princes « les ministres de Dieu et ses lieutenans sur la terre, » devait montrer : « que le trône royal n’est pas le trône d’un homme, mais le trône de Dieu même. » Dès cette heure cependant, de l’autre côté de la Manche, grondait l’orage d’une révolution dont Cromwell s’était rencontré comme le terrible précurseur et qui allait, en condamnant pour la seconde fois et à jamais les Stuarts à l’exil, inaugurer un mode de gouvernement que Voltaire et Montesquieu signaleront comme un enviable exemple, en précisant des vœux qu’en France même, dès la fin du XVIIe siècle, avaient émis Fénelon et Vauban.

Temple érigé en l’honneur de la monarchie, Versailles devait fatalement apparaître à tous les yeux comme l’image et la citadelle de la résistance aux idées qui visaient à conquérir le monde. Avec son vaste château, ses solennels jardins, son immense parc, cette ville d’un aspect régulier et majestueux, où tout n’était que par le roi, se rapportait à lui et proclamait sa puissance, s’élevait comme l’image du régime politique et administratif qu’avait, plus qu’aucun autre prince, personnifié Louis XIV. Où trouver, en effet, plus qu’en cette grandiose ordonnance un frappant symbole de l’ordre parfait que le fils d’Anne d’Autriche, au sortir des troubles de la Fronde, pour lui inoubliables et inoubliés, avait eu la persistante volonté d’affermir en France ? En cela, d’ailleurs, Louis XIV ne faisait que suivre, en lui imprimant plus de force, la tradition de ses devanciers. Déjà, aux plus sombres heures de la guerre de Cent Ans, les Valois, fuyant les agitations tumultueuses et sanglantes dont Paris était le théâtre, avaient transféré la royauté de ville en ville, de château en château, en ce « beau et plaisant pays »