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beaucoup des nouvelles contenues dans les recueils déjà cités, sont le développement rigoureusement logique d’une idée qui appartient au domaine des possibilités scientifiques. C’est ce qui a fait considérer d’abord M. Wells comme un disciple, puis comme un rival de notre célèbre compatriote, l’auteur du Docteur Ox et des Anglais au Pôle Nord (je cite à dessein les deux ouvrages qui présentent le plus d’affinité avec les œuvres de l’auteur anglais). En fait, le public français, qui le connaît encore mal et qui aime à enfermer le talent le plus complexe dans une formule simple, le considère et le définit, — j’ai eu souvent l’occasion de le constater, — comme « un Jules Verne anglais. » Je suis moi-même parti de là lorsque j’ai ouvert ses livres pour la première fois. Eh bien, c’est cela et ce n’est pas du tout cela !

Je n’ai aucune envie de dénigrer M. Jules Verne, auquel j’ai dû des heures de très agréable récréation. À la différence de beaucoup de critiques, je tiens compte de la vogue et même, — pour employer un terme sordide, — de la vente des livres. Un succès aussi prolongé et aussi universel que celui de Jules Verne (il est, à l’étranger, l’un des plus populaires de nos écrivains) est, tout au moins, un symptôme, et le classe parmi les « représentatifs. » Mais Jules Verne vous a-t-il jamais fait penser ? Je crois que la réponse sera négative. Lorsque M. Jules Verne ne se contente pas de mettre en œuvre des faits curieux extraits de quelque dictionnaire géographique ou de quelque récit de voyage, son domaine favori, c’est la science de demain, ce sont, en somme, les questions à l’ordre du jour, qu’il suppose résolues en s’aidant des découvertes déjà obtenues. Ainsi il a vécu assez pour voir les exploits de son Nautilus et de son Victoria égalés ou dépassés par nos sous-marins et nos ballons dirigeables. M. Wells a, ce me semble, plus d’originalité et d’invention dans le choix de ses problèmes et dans la façon dont il les traite. On ne passe impunément ni par le laboratoire ni par le séminaire. Cela se connaît à un je ne sais quoi qui serait, comme tous les je ne sais quoi, très facile à analyser. Appelez M. Wells un défroqué de la science, si ce mot peut vous aider à comprendre sa manière spéciale. Je n’oublie jamais, en lisant Jules Verne, que c’est un

    Trois romans de Wells, à ma connaissance, ont déjà été traduits en français : Love and Mr  Lewisham, The War of the Worlds et the Time machine, ce dernier sous un titre un peu gauche et longuet, La Machine à explorer le temps.