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écrivain qui se sert de la science pour documenter son roman ; quand je lis M. Wells, je me persuade par momens que c’est un inventeur qui use du roman pour mettre en relief et populariser une invention.

L’idée qui sert de point de départ aux First men in the moon est la découverte d’une substance qui n’est pas soumise à la loi de la gravitation. Une sphère creuse formée de cette substance s’éloignera indéfiniment dans l’espace, et les voyageurs placés dans cette sphère, grâce à un système d’ouvertures pratiquées sur toutes les parois, pourront, en la réglant, utiliser pour la direction et l’accélération ou le ralentissement de leur marche tantôt l’attraction solaire et tantôt l’attraction terrestre ou l’attraction lunaire. Voici maintenant le principe sur lequel repose toute la donnée de l’Invisible man. Un corps plongé dans un milieu tel que l’air ou l’eau, ou telle autre substance qui peut être traversée par un rayon réfracté, devient invisible lorsque son indice de réfraction est égal à celui du milieu réfringent. Le héros du livre, Griffin, ayant réussi, en avalant certaine potion, à rendre la réfrangibilité de son corps égale à celle de l’atmosphère, notre œil ne perçoit plus que l’image de ses vêtemens, et il n’a qu’à s’en dépouiller pour nous échapper complètement.

Des physiciens m’ont assuré que, si l’on admettait l’existence de la Cavorite et le moyen d’obtenir l’égalité de réfrangibilité entre l’air et le corps humain, tout le reste devient simple et clair ; tout est rigoureusement déduit et scrupuleusement observé ; tout s’enchaîne avec une sévérité logique qu’on ne trouve pas toujours dans un manuel de science.

Examinez, encore, toutes les notions accessoires et dérivées qui se groupent autour de ce fait primordial : à savoir que la densité est moindre sur la lune et qu’elle va en diminuant à mesure qu’on s’approche du centre. De là M. Wells tire par induction tous les traits physiques et intellectuels de l’humanité lunaire, plus variée et plus complexe que la nôtre, parce que, n’ayant pas besoin, comme nous, d’une ossature et d’une boîte crânienne dont le développement est limité par des conditions de poids et d’équilibre, elle se laisse modeler plus rapidement par l’évolution et se prête à une spécialisation infiniment plus délicate. Ai-je dit qu’il obtenait ces caractères par induction ? Peut-être touchais-je de plus près à la vérité lorsque je parlais de scrupuleuse obser-