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sont innombrables ; la liste s’en allonge sans cesse ; on en supprime un, on en ajoute trois. Grâce à eux, toute l’année est carême pour le travailleur. Quand donc appliquera-t-on sérieusement la politique préconisée dans ce distique mieux pensé que rimé ?


Grevez d’impôts la ville et dégrevez les champs :
Ayez moins de bourgeois et plus de paysans.


L’agriculture souffre. Consultez le conservateur des hypothèques, les notaires, les huissiers : la dette ronge les campagnes, la moitié de nos cultivateurs s’engagent, les ventes par autorité de justice se multiplient, le loyer des fermages diminue. Beaucoup de propriétaires ruraux ont prêté l’oreille aux agens de ces compagnies industrielles qui promettaient monts et merveilles : capital et intérêts, tout a été englouti. La population des villes augmente, celle des campagnes décroît : on pourrait citer des milliers de villages où la population a baissé de moitié depuis 1850 ; il n’en est guère où elle ait suivi la marche contraire, sauf ceux où s’élèvent des industries. Le prix de la terre a en général fléchi de 30 à 60 pour 100, les bons fermiers sont rares, on ne veut plus louer que des champs voisins de la maison, d’où l’on entend la soupe bouillir, la poule chanter.

Le mal ne dépend pas de tel ou tel gouvernement ; il a ses racines plus avant, dans une disposition générale des esprits, dans cette ambition mal définie qui envahit les nouvelles générations. Du haut en bas de l’échelle sociale, nous devenons de grands inquiets, des déracinés ; nous commençons de ressembler à cette plante des steppes de la Russie qui s’enfonce à peine dans la terre et voyage avec la tempête.

Ainsi parlent les pessimistes, et ils n’ont pas tort. Naturellement leurs adversaires tiennent un autre langage. Malgré ses misères trop réelles, l’agriculture nationale a réalisé, disent-ils, réalise encore d’immenses progrès. Oui, le prix de la terre a fléchi depuis 1870, mais auparavant il avait été en hausse constante. Visitez les foires, les concours, les écuries des cultivateurs : vous y verrez un bétail plus nombreux et plus beau. Comment ne pas apprécier aussi les bienfaits des syndicats agricoles, des caisses d’assurances contre la mortalité du bétail, des engrais chimiques, des machines, des nouvelles industries rurales ? Est-ce là l’indice d’une décadence radicale ? La moisson