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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/673

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« Il ressort de ces chiffres qu’en 1852, 49 ouvriers étaient occupés une grande partie de l’année ; aujourd’hui il y a peu d’ouvriers, et ils ne sont occupés que pendant les grands travaux, foins, moisson, arrachage des pommes de terre, époques pendant lesquelles tous les cultivateurs voudraient les avoir à la fois. »

Jadis, il y avait beaucoup de petits métiers, d’occupations domestiques dans les campagnes ; le menuisier sciait lui-même ses planches, le maréchal fabriquait ses clous et ses fers ; les hommes filaient la laine, les femmes la tricotaient, on teillait le lin. Des usines de tissage se sont établies, qui drainent la population rurale, soumise aujourd’hui aux règles et à la discipline de la vie industrielle. La création des prairies et herbages diminue le besoin de main-d’œuvre, raréfie celle-ci ; « le bétail chasse l’homme, » disait M. Estancelin. Il me semble difficile d’admettre que la petite propriété ait par elle-même « une influence dépeuplante, » comme l’a prétendu M. Souchon : les causes que je viens d’énumérer ne suffisent-elles pas à expliquer ce triste phénomène ?

Où vont les émigrans ? Vers la chimère le plus souvent, parfois au succès. Ils se dirigent vers Paris, vers les grandes villes, s’adonnent à de petits commerces, se placent comme domestiques, garçons de magasin, conducteurs d’omnibus : heureux aussi ceux qui obtiennent une place de gendarme, de garde forestier, de facteur ! les jeunes filles les poussent dans cette voie. Aux Riceys (Aube) et ailleurs, elles imposent aux jeunes gens qui les recherchent en mariage la condition de renoncer aux travaux des champs. La majorité échoue, plus d’un tourne mal, finit à l’hôpital, plus d’une tombe dans la débauche et fournit un appoint à la traite des blanches, d’autres reviennent au village, meurtris, déplumés comme le pigeon de la fable, et se remettent au travail. Un jeune homme de V… part pour la grand’ville, devient garçon de cercle, et, avec de l’entregent, ramasse 250 000 francs en prêtant aux membres joueurs : son exemple entraîne cinquante émules qui partent pour la croisade du bien-être, et rencontrent autant de déceptions que Tartarin de Tarascon lorsqu’il veut fonder une colonie. Hélas ! l’humanité obéit surtout à ses rêves ; les dures leçons de l’expérience servent bien rarement au voisin, elles ne servent pas toujours à celui qui a reçu les étrivières pour avoir enfreint les lois de la raison ; il se dit : « Oui, je n’ai pas réussi la première fois, mais maintenant