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dont le premier : La Chevauchée au Gouffre, la charge de Sedan, n’est certes pas sans grandeur. Des scènes pourtant trop détachées les unes des autres, trop faiblement rattachées à l’ensemble, et qui peuvent être supprimées, sans qu’il y soit retranché quoi que ce soit d’essentiel et de nécessaire. Ces minutes dispersées de l’époque, nous ne nous y arrêterons pas : ce quatrième acte du drame, ajouté et intercalé, nous le négligerons donc ; mais le Désastre, les Tronçons du Glaive, la Commune, se tiennent, s’enchaînent, s’appellent, se commandent, s’entraînent, tombent d’un bloc, comme les trois parties d’un développement, comme les trois momens d’une action, en des heures qui se suivent, dans des lieux qui se touchent, avec les mêmes protagonistes et les mêmes chœurs, sous le coup de la même fatalité. Les hommes du Désastre expliquent les hommes de la Commune ; la foule parisienne de juillet 1870 explique la foule parisienne de mars 1871.

Elle est enflammée et belliqueuse, au grand soleil de thermidor, et comme en mal d’épopée, et patriote jusqu’aux confins de l’épilepsie, la foule de juillet 1870. Des profondeurs au sommet, elle se soulève, s’enfle et déferle en mugissant. Le plus humble des Français n’échappe pas à cette folie des armes : le plus obligatoirement, le plus physiologiquement pacifique s’y laisse emporter par l’élan de tous :

Le concierge était en train de piquer des petits drapeaux tricolores dans une caisse à réséda, devant la fenêtre de sa loge. Dans son enthousiasme guerrier qu’exaltaient de récentes libations chez le marchand de vins, il répétait au savetier d’en face, impotent comme lui :

— A Berlin ! A Berlin ! En avant, partons !

Il reconnut le commandant, ébaucha un salut militaire et cria :

— Vive l’armée !

D’habitude, cet homme, en proie à son catarrhe, ne quittait jamais la loge où on le voyait assis, les jambes en croix, ravaudant des fonds de culottes. La concierge, énorme femme potinière et couarde, dont le café au lait, très sucré, était l’unique idéal, courut après Du Breuil pour lui remettre lettres et journaux :

— Ah ! monsieur, que je suis contente ! La guerre est déclarée ! Vous allez les hacher en morceaux, ces grosses saucisses ?


C’est bien l’ « enthousiasme guerrier, » et c’est un enthousiasme français, mais c’est, de plus, un enthousiasme parisien, qui, dans la gravité, dans la solennité même des circonstances, flâne, blague, chante et plaisante. Une rampe de gaz qui