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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/691

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fois, on a été « trahi. » En cela encore, le contraste entre les réputations et les résultats rend dure la désillusion. Tout à coup et tout d’un coup l’événement rapetisse les chefs de tout ce dont l’imagination les avait grandis. Pas un feu de bivouac, à l’armée, pas un repas de famille, dans le civil, où l’on n’ait tenu quelque propos de ce genre : « Mac Mahon ! voilà un homme ! Franc comme son épée. Il va nous balayer le terrain ! » Et le petit père Changarnier, juché sur son barbe alezan, avec son képi à l’ancienne mode, sa tunique à petite jupe et son pantalon à pieds d’éléphant, propret et — c’est impayable ! — pommadé, parfumé à son âge, « le général Bergamotte, » sec, énergique, rendant le salut brusquement, de même que brusquement il portera les coups ! Puis, superbe là-bas, la tête haute, presque renversée, le cou trop court en quelque sorte roidi pour émerger des épaules, les cheveux envolés comme une crinière, la moustache dressée comme des poils de lion, ensoleillé de tout le soleil d’Afrique, rouge de la flamboyante auréole de Constantine et de Zaatcha, héros authentique passé au rang de héros modeste par son désintéressement devant Sébastopol et son désintéressement sous Metz, si gai, si fécond en propos joyeux, si militaire, si chevaleresque, si troupier, si « troubadour, » si Gascon, si Français, — Canrobert ! « Battus, des généraux comme eux, commandant des soldats comme nous ! Allons donc ! Ce n’est pas possible ! » — Et pourtant ils sont battus… C’est donc qu’ils se font battre exprès,… qu’il y a quelque chose, on ne sait pas quoi…. quelque chose…

Pour Bazaine, on sait quoi… La justice, du moins, a cru le savoir… Mais l’histoire en est-elle très sûre ?… Le Bazaine du Désastre est, à mon avis, une des figures supérieurement dessinées de l’œuvre de MM. Paul et Victor Margueritte ; et, sans paradoxe, elle est supérieurement dessinée peut-être parce qu’elle l’est très peu, parce qu’elle n’est qu’en flottement dans l’indécis et dans l’énigmatique. Une énigme, Bazaine l’est de la tête aux pieds, et du commencement à la fin.


Bazaine, seul, en calèche découverte, suivait au milieu du cortège de généraux, d’écuyers, de piqueurs. Il était très pâle, avec des yeux boursouflés, des rides, un air de fatigue et d’ennui… Son visage a quelque chose d’impénétrable. L’air d’un homme qui pense à soi.

— Un ambitieux, souligna le major. Sa conduite au Mexique l’a bien prouvé.