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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/695

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de se nuire mutuellement ; dans laquelle il n’y a peut-être qu’orgueil exalté, frénésie du moi, délire des grandeurs, ou peut-être quelque intrigue politique ; et dans laquelle il y a peut-être le plus exécrable, le plus impardonnable, le plus inexpiable des crimes contre la patrie. Ce crime, il faut bien qu’il y ait été, puisque les juges de Bazaine l’y ont vu. Tous les certificats de Frédéric-Charles ne sauraient suffire à l’en laver[1]… Et cependant, le cri de la défense : « Le maréchal Bazaine a trahi… Ah ! vous m’expliquerez pourquoi ! » Personne, jamais, n’a expliqué pourquoi. Le visage et l’ombre sont demeurés également louches, mais impénétrables. Ce qui est certain, c’est que, dans cette ombre où se décompose l’année, germent, percent, poussent le doute, la discussion et la révolte ; se lèvent les Francastel, les Massoli, les d’Avol à l’esprit critique, les Barrus au front de sectaire, — autrement dit, les Boyenval, les Rossel ; — s’aigrissent ou pourrissent quelques-uns de ceux par qui l’année terrible va devenir l’année horrible, par qui, de la guerre, va sortir la Commune.


II

Interposez six mois. En ces six mois faites tenir un hiver d’une extrême rigueur, un siège, un bombardement, trois campagnes, par-ci par-là comme une reprise de souffle avant l’étouffement définitif, Bapaume, Coulmiers, Villersexel ; les espoirs qui renaissent et meurent et font mourir dix fois pour une ; la faim, le froid, la réclusion dans la ville ; l’absence de toutes communications, la privation de toutes nouvelles ; la suspension ou le renversement des rapports sociaux antérieurs ; la capitulation de Sedan, la captivité de l’Empereur, l’effondrement de l’Empire ; une révolution, le 4 septembre, et plusieurs émeutes, le 31 octobre, le 22 janvier ; la Défense nationale et l’Assemblée nationale, Tours et Bordeaux ; tant de proclamations et de

  1. A la séance du Conseil de guerre du 9 décembre 1873, l’avocat du maréchal. Me Lachaud, donna lecture de deux pièces, datées l’une du 28 septembre et l’autre du 6 décembre 1813, et dont la dernière est ainsi conçue :
    « Je déclare que je professe une entière et haute estime pour M. le maréchal Bazaine, spécialement pour l’énergie et la persévérance avec lesquelles il a pu si longtemps soustraire l’armée de Metz, à une capitulation qui, d’après mon opinion, était inévitable.
    Berlin, 6 décembre 1873.
    Signé : FREDERIC-CHARLES,
    Général feld-maréchal.