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thé. On y gèle, par ces froids de décembre, — jamais bien sérieux au Japon, il est vrai, mais attristans à subir, — entre des parois de papier, loin du clair soleil qui rayonne dehors, et sans autre feu qu’une braise dans un minuscule réchaud.

Et puis Mlle Pluie-d’Avril n’en finit plus de sa toilette. On court la prévenir dès que j’arrive, mais il faut chaque fois compter une heure avant qu’elle paraisse, une heure à s’ennuyer devant la dînette posée par terre, et à échanger de niais propos avec deux ou trois servantes prosternées.

Quand il entre enfin, mon petit chat habillé, c’est toujours la surprise d’atours nouveaux, d’un dessin extravagant et d’un coloris chimérique. Du fond de la grande salle un peu en pénombre, elle s’avance éclatante, avec une majesté de marionnette ; elle est presque une petite naine, mais surtout elle est une petite fée ; et le corps, négligeable par lui-même, se noie dans les plis de la robe, qui est garnie, en bas d’un bourrelet très dur, pour que la traîne s’étale de tous côtés trompeusement. Ce qui fait surtout l’invraisemblance du personnage, c’est, je crois bien, la longueur du cou et l’extrême petitesse de la tête. Mais le charme, l’air vraiment chat, est dans les yeux ; des yeux bridés, retroussés, câlins, spirituels et tout le temps narquois.

Mlle Matsuko, la geisha, suit à quelques pas derrière, très jolie aussi, mais boudeuse, avec une moue de dignité offensée, ayant trop bien compris que je ne viens point pour elle, et affectant de plus en plus de s’habiller sans recherche, en des nuances éteintes.

Non seulement elle danse mais elle chante aussi, Mlle Pluie-d’Avril, ou elle déclame, tout en exécutant les pas que Mlle Matsuko lui joue sur sa longue mandoline. Et ce sont des séries de petits miaulemens tout à fait chatiques, mais à peine perceptibles, avec, de temps à autre, en baissant la tête, des sons impayables, tirés du fond du gosier, et visant aux notes de basse-taille, — comme quand les moumouttes sont très en colère.

Elle m’a exécuté aujourd’hui la « danse des roues de fleurs, » qui exige un jeu de plusieurs cerceaux garnis de camélias rouges, et le « pas de la source » avec deux bandes de soie blanche, qu’elle parvenait à agiter d’un continuel et inexplicable mouvement d’ondulation, rappelant l’eau des torrens.


27 décembre. — Malgré la discrétion parfaite avec laquelle la chose m’a été insinuée, il a été clair aujourd’hui pour moi que