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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/745

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trouvé cependant mon équipe, nous partons à toutes jambes, avec des cris pour écarter le monde.

Et un monde si drolatique ou si gracieux ! Un monde à sourires et à révérences, qui s’empresse vers mille devoirs de civilité, et se complimente tout le long du chemin, avec un affairement bien inconnu aux premiers de l’an chez nous. Des mousmés vont par bandes, aussi vite que permettent leurs sandales attachées entre le pouce et les doigts ; elles sont habillées de clair, de nuances tendres, et des piquets de fleurs artificielles rehaussent leur chignon aux coques parfaites. Des bébés adorables, aux yeux de chat, trottinent, se donnant la main, l’air important, en longue robe de cérémonie, coiffés d’une manière très apprêtée, avec des petites touffes, des petits pinceaux de cheveux s’érigeant dans diverses directions. Enfin messieurs les portefaix et messieurs les coureurs sont eux-mêmes en tenue de gala, en robe de coton bleu bien neuve et bien raide, ornée de larges inscriptions blanches sur le dos et la poitrine ; ils tiennent à la main les cartes de visite qu’ils vont au pas de course distribuer à leurs brillantes relations. Une maison neuve, à peu près européenne, dont les abords sont encombrés par les djinrichas d’innombrables visiteurs : c’est chez le gouverneur de la ville, qui nous reçoit avec le frac brodé et le sourire officiel des préfets d’Occident.

Après un grand déjeuner d’officiers, à la table de l’amiral, vite je quitte ma tenue de marin pour retourner à terre, me mêler à la foule japonaise.

Nagasaki, d’un bout à l’autre de ses rues, est enguirlandée d’une manière uniforme. Tout le long des maisonnettes de bois, vieilles ou neuves, court une interminable frange verte, faite de touffes en roseau alternant avec de longues feuilles de fougère pendues par la tige. Et, devant l’entrée de chaque demeure, au cordon qui soutient cette frange, est attachée une pendeloque toujours pareille, qui se compose d’une carapace rouge de homard, de deux coquilles d’œuf et d’un peu de feuillage. Tout cela, paraît-il, est traditionnel, symbolique, inchangeable décoration du premier jour de chaque année.

Entre ces guirlandes ininterrompues, l’agitation souriante de la foule bat son plein, sous le soleil d’hiver ; gentilles mousmés, pâlottes et mièvres, vieilles duègnes aux sourcils rasés, aux dents laquées de noir, se saluent et se resaluent au passage,