Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la vanité. Je n’oserais dire que ces sentimens lui fussent complètement étrangers, mais il faut pénétrer plus avant et comprendre que sa conduite correspondait exactement à l’objet réel, sinon apparent, de sa réunion, et que les Puissances poursuivaient ainsi, non pas une satisfaction frivole, mais leur véritable but, c’est-à-dire le succès de leurs vues collectives et particulières. Comme le prince de Bismarck l’avait déclaré incidemment, mais avec une brusque franchise, elles avaient été convoquées pour traiter de leurs affaires et non pour être agréables à la Porte. Cette parole avait un sens profond : il ne s’agissait pas en effet pour le Congrès, comme pour une simple conférence, d’organiser plus ou moins bien quelques provinces, mais de les placer dans des conditions conformes aux convenances des Cours prépondérantes. Il prenait de la sorte les proportions européennes qui lui étaient fatalement assignées par ses antécédens et l’état général des affaires, et il devenait évident qu’en vertu de la mystérieuse et réciproque répercussion des effets et des causes, les conséquences de ses actes s’étendraient, au-delà du Danube et des Balkans, sur les relations internationales de l’avenir.

Je n’ai pas à parler de ces évolutions lointaines, et, revenant à nos séances, je me borne à constater, comme un des traits caractéristiques du Congrès, sa prétention d’agir exclusivement d’après sa volonté. Bien plus, et quelles que fussent les forces occultes ou les tendances extérieures dont il subissait tour à tour ou simultanément l’influence, il affectait de les ignorer. Ce système indépendant et autoritaire était fort agréable et commode à une assemblée qui n’avait pas de convictions fixes : il lui permettait toutes sortes d’arrangemens équivoques, dilatoires et intéressés, d’excursions dans un sens ou dans l’autre, et la dispensait de mettre d’accord les doctrines ou les intentions diverses qu’elle amalgamait dans ses conclusions altières. Après l’avoir appliqué à la reconstitution de la Bulgarie et de la Bosnie-Herzégovine, elle agit de même, comme on va le voir, à l’égard de la Serbie, du Monténégro, de la Roumanie et de la Grèce. Quant aux Turcs, elle n’avait qu’à persévérer. Bien qu’en fait leurs droits et ceux des nationalités fussent les élémens de ces questions distinctes, elle s’abstint d’en souffler mot et continua de distribuer les bienfaits et les disgrâces en donnant à ses combinaisons l’apparence d’actes de bon plaisir.

Le Congrès commença donc par décréter en principe