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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/76

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l’agrandissement de la Serbie ; puis, comme s’il disposait de sa propriété personnelle ou de choses sans maître, il procéda spontanément aux répartitions pratiques, il accorda ou refusa aux Serbes et aux Turcs tels ou tels territoires avec une égale et superbe indifférence pour les observations et réclamations des uns et des autres. En ce qui concerne la Serbie, s’il consentit à modifier, au dernier moment, le plan primitif en lui octroyant le district de Vranja, ce fut par condescendance pour le désir des plénipotentiaires français et par des calculs de compensations tout à fait arbitraires. Pour la Turquie, le Président se contenta d’écarter ses objections par une fin de non recevoir assez singulière : « La Porte, dit-il, ayant accepté ces clauses à San Stefano, ne saurait s’y opposer. » À ce compte, la Porte n’aurait pu discuter aucun article de cette convention et, par ce même argument, on eût été autorisé à ne jamais l’entendre. Mais un tel raisonnement, si spécieux qu’il fût, s’accordait trop bien avec la méthode impérative de l’assemblée pour ne pas lui complaire : il se trouva, il est vrai, que des populations de même origine furent celles-ci laissées à la Turquie, les autres réunies à la Principauté ; mais ces contradictions n’inquiétaient pas le Congrès, qui, précisément, ne voulait reconnaître aucun droit national ou juridique en dehors de sa libre initiative.

Sa conduite fut exactement pareille envers le Monténégro. Il admettait la nécessité de l’accroître pour éviter de ce côté-là de nouveaux troubles, et surtout de lui donner l’accès à la mer, condition indispensable de son existence ; mais il n’entendait pas, le sachant inféodé à la Russie, lui donner une extension inquiétante. Dès lors, tout en lui conservant une part des avantages stipulés à San Stefano, il lui refusa d’assez importans territoires avec une complète indifférence. Les délégués du prince Nicolas, MM. Petrovitch et Radonitch, n’obtinrent pas d’audience au palais Radziwill et n’eurent d’autre ressource que de récriminer au dehors. Ils ne s’en faisaient pas faute d’ailleurs et se posaient amèrement en victimes. Je n’ai pas oublié sur quel ton acerbe ils m’exposèrent leurs sentimens, comme si j’avais rien à voir aux décisions du Congrès : quand je leur rappelai les accroissemens que leur pays avait reçus, ils me répondirent avec indignation, et je crois bien qu’ils considéraient au fond la haute assemblée comme une ennemie du Monténégro.

Quelque temps après, la Roumanie vint à l’ordre du jour.