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funéraire, espacés d’une longueur de mousmé, et là-dessus nous voici tous courant à la file et en rond, d’un pas que rythme une chanson de cent ans. — Les Japonais s’amusaient à ce jeu dans la nuit des âges : de vieilles images en font foi. — A perdu qui n’est pas perché sur le velours d’un coussin noir, quand brusquement la chanson s’arrête, et les geishas alors font entendre des petits rires, comme une dégringolade de perles fausses.

Oh ! la niaiserie et la tristesse de cela, au milieu de cet exotisme extrême, au pied de la pagode du Cheval de Jade, dans le grand silence des en tours et dans la froidure d’un minuit de janvier !…

Allons-nous-en ! — Nos coureurs, en bas, nous attendent, endormis dans des couvertures, à côté de nos souliers. Enfin rechaussés, nous nous installons sur nos petits chars, et l’air vif nous saisit, la nuit du dehors nous enveloppe, tandis que les geishas, restées dans l’escalier, en groupe lumineux, étourdissant de couleur, s’inclinent pour des révérences charmantes. Sur le ciel tout bleui de rayons de lune, les vieux cèdres sacrés du temple voisin découpent en noir leurs branches tordues, aux rares bouquets de feuillage, d’un dessin très japonais. Et peu à peu nous prenons de la vitesse, à mesure que s’éveillent mieux nos coureurs ; nous voilà partis pour une longue course aux lanternes, traversant un Nagasaki bleuâtre, vaporeux et lunaire, qui dort tout baigné de brume hivernale.


Mardi, 8 janvier. — Oh ! les étonnantes petites personnes que j’ai rencontrées aujourd’hui à la campagne ! Je les voyais de loin cheminer devant moi, une cinquantaine, presque en rang comme un peloton de soldats, toutes pareilles et toutes blanches. Des peignoirs de calicot blanc, aux manches plates, attachés à la taille par une ceinture, sans corset, — en faisaient des bonnes femmes bien rondes, à tournure de grosse paysanne inélégante. Des bonnets de calicot, tout simples et tout raides, mais trop majestueux et comme gonflés de vent, semblaient des cloches à melon sur les têtes… Qu’est-ce que ça pouvait bien être, ce monde-là ? Des Japonaises, fagotées ainsi, lourdement et sans grâce ? — Pas possible.

J’ai pressé le pas pour vérifier. Et, sous les hauts bonnets comiques, j’ai bien vu des figures plates de mousmés ou de jeunes femmes nipponnes ; mais ces dames avaient l’air sérieux,