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pénétré, ne riaient point ; l’habituel badinage des rencontres n’eût pas été de circonstance, évidemment, et j’ai passé, sans rire moi non plus.

Ensuite je me suis informé : c’était l’école des ambulancières pour l’armée, qui faisait une promenade hygiénique d’entraînement !… Tout est à la guerre, en ce moment-ci, tout est préparatifs pour cette grande tentative contre la Russie, — qui, du reste, ne constituera que la manifestation initiale de l’immense Péril Jaune.

On m’a assuré que, dans les rangs de ces petites créatures empaquetées en tenue d’hôpital, il se trouvait des dames nobles, des descendantes de ces vieilles familles dans lesquelles nous autres étrangers ne pénétrons pas encore. Et des officiers, mes camarades, qui ont déjà été soignés et pansés par elles, gardent le meilleur souvenir de leurs mains si petites, douces, adroites, aux patiences inlassables.

Mais ces énormes bonnets gonflés d’air, ces espèces de coiffes à la Cauchoise, qui dira pourquoi ?…


Samedi, 12 janvier. — Mme Renoncule, ma belle-mère, a vraiment toutes les délicatesses. Malgré ma réserve si marquée vis-à-vis de Mlle Fleur-de-Sureau, ma belle-sœur, elle m’avait de nouveau convié hier soir à un repas de famille, que j’aurais eu trop mauvaise grâce de refuser encore. J’espérais toutefois m’y amuser davantage, et je dois reconnaître que l’attitude générale a été plutôt guindée. On gelait, en chaussettes, sur les nattes du plancher. On disait des choses cherchées et vides, galantes avec réserve, dont on essayait de rire. Les petites soupes étaient froides dans les bols en miniature. Tout était froid.

Et tout serait resté incolore si, vers la fin du repas, une de mes cousines mariée depuis peu, Mme Fleur-de-Cerisier, — jeune personne très distinguée, mais qui dès l’âge le plus tendre a été maintes fois victime d’un tempérament trop inflammable, — ne s’était éprise d’Osman au point de lui proposer d’oublier pour lui tous ses devoirs. A la suite de cet incident, que l’on ne saurait trop déplorer, une gêne très notable s’est glissée dans mes rapports avec ma belle-famille.

Toutefois mes relations avec Mme Prune n’en ont point souffert, et ce matin je J’ai accompagnée jusqu’à la tombe de feu ce pauvre M. Sucre, où elle avait senti le besoin d’aller déposer