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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/776

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mûrir son projet d’opérations sur la frontière des Alpes et en Italie. Enfin, en 1795, mis en relief par l’envoi de ce projet au Comité de salut public, par ses relations avec Barras, par son commandement de l’armée de Paris, il obtient des directeurs, et de Carnot, le commandement en chef de l’armée d’Italie.

A partir de cette époque, il se lance dans la vie ; les événemens se précipitent dans sa carrière, il n’a plus que le temps strictement nécessaire pour les préparer et les provoquer à son heure.

Sa période de recueillement, commencée en 1792, est terminée. Il en a profité pour mûrir, par le travail et la réflexion, les hautes qualités de son esprit. Dans les deux dernières années, de 1794 à 1796, cette préparation s’est faite : non plus avec un dessein général vague, indéterminé ; mais avec l’intention bien arrêtée de commander en chef l’armée d’Italie. Elle lui a permis d’agir en maître, dès le début de sa campagne de 1796.

Avec une intelligence pratique, un bon sens, une sûreté de jugement, une connaissance du cœur humain, une prescience de la guerre, qui sont bien le génie, Napoléon a su faire un choix dans ce qu’il a lu sur la guerre. Il s’est tracé une manière de faire toute personnelle, que l’on retrouve dans toute sa glorieuse carrière, pour préparer ses campagnes, pour les exécuter, et pour livrer bataille.

Il était probablement dans le vrai quand il disait, également à Sainte-Hélène, en remémorant sa vie : « J’ai beaucoup médite l’histoire… Avant de rien entreprendre, j’ai longuement médité, j’ai prévu tout ce qui pourrait arriver… »

Napoléon s’est peu occupé de la préparation de ses états-majors. Il ne leur confiait pas ses intentions, ne les mêlait ni à la préparation, ni à la direction de ses opérations. Ils étaient pour lui de simples organes de transmission.

Comme son génie embrassait les détails, aussi bien que les ensembles, les choses n’en ont pas moins réussi, — et l’on sait avec quelle gloire ! — pendant la plus grande partie de ses campagnes. Mais lorsque les difficultés sont venues, il s’est cruellement ressenti de la préparation insuffisante de ses états-majors. En 1812, il l’a reconnu lui-même. En 1815, c’est une faute d’état-major, un ordre mal compris, mal transmis au général d’Erlon, qui a empêché la bataille de Ligny d’être plus décisive ; et qui a permis aux Prussiens, — moins rompus que ne