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nièce, je vous ai exprimé la joie que je ressentais de vous savoir enfin soustraite au poignard des assassins. Aujourd’hui, je dois vous parler d’un autre objet auquel ma tendresse vraiment paternelle pour vous me fait songer sans cesse : c’est de votre établissement, et le parti que je vous propose est mon neveu le Duc d’Angoulême. Je le connais bien, j’ai bien étudié son caractère et je suis sûr qu’il rendra sa femme heureuse. Dans un autre temps, on pourrait croire que je cherche à vous éblouir par l’éclat d’une couronne puisqu’il doit naturellement être mon héritier. Mais, vous n’ignorez pas que c’est ou un trône ou la misère et l’exil dont je vous offre le partage. Votre âme est trop élevée pour que je craigne de vous dire ces dures vérités. Je ne dois pas vous dissimuler que ce n’est pas votre bonheur seul qui m’occupe ; c’est aussi celui de mon neveu à qui je ne puis faire un plus beau présent ; c’est celui de toute ma famille, c’est le mien propre ; c’est celui de mes vieux jours que cette union assurera. Adieu, ma chère nièce ; avec quelle impatience j’attends votre réponse ; je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur. »

Cette lettre porte la date du 17 janvier. Le même jour, le Roi voit apparaître Cléry, le fidèle serviteur de feu son frère. A Wels, dans la Haute Autriche, où il était venu de Vienne attendre Madame Royale, Cléry a eu le bonheur de la rencontrer et de communiquer avec elle. À ce moment, instruite par Mme de Soucy des desseins du Roi son oncle et de ceux de l’Empereur par l’archiduchesse Elisabeth qui se trouvait sur son passage à Inspruck, ayant réfléchi, trois jours durant, à ces propositions contradictoires, elle a fait son choix conformément aux vœux de sa famille française. Pressée d’en avertir son oncle, elle lui a aussitôt envoyé Cléry porteur de l’admirable lettre qu’on va lire, bien propre à faire rougir le Roi et d’Avaray d’avoir douté d’elle et de s’être livrés, pour emporter sa décision, à tant de prières, à tant d’efforts d’imagination, à tant de combinaisons mesquines et romanesques.

« Sire, je vais arriver à Vienne où j’attendrai les ordres de Votre Majesté. Mais je la préviens que quelque désir que j’aie d’apprendre de ses nouvelles, je crains de ne pouvoir pas lui écrire souvent, parce que je serai sûrement bien observée. Déjà dans mon voyage, on m’a empêchée de voir des Français, l’Empereur voulant me voir le premier, et craignant que je