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« — Non, non, reprit vivement le prince, ne dites rien ; vous seriez entendus et vous pourriez vous compromettre. »

Les adjurations des officiers du Roi mirent fin à cette scène dangereuse qu’aurait pu dénouer une balle. Il se retira suivi de quelques cris :

— Pourquoi s’en va-t-il si vite ? Nous n’osons dire ce que nous pensons.

Cependant, l’armée attendait à Mülheim l’ordre de passer le Rhin et de pénétrer dans la Haute-Alsace. « Mais, il y avait à peine huit jours que nos cantonnemens étaient assis sur ce point que toutes les espérances furent confondues par l’invincible ascendant de ces armées qu’on s’obstinait toujours à combattre et qu’il fallait convaincre. Dans l’idée de remédier aux malheurs de l’Italie, on donna l’ordre au maréchal de Wurmser d’y envoyer trente mille hommes. Ainsi, l’archiduc Charles qui commandait l’armée de droite et se disposait à entrer en Basse-Alsace, au lieu de poursuivre les avantages obtenus à la fin de la campagne précédente sur la rive gauche, se vit obligé, de repasser le fleuve. Nous fûmes contraints de nous replier.

« Le Roi et Mgr le prince de Condé rentrés à Riegel étaient assez tranquilles, lorsque, le 24 juin, une canonnade sur toute la ligne française ayant annoncé le passage que Moreau fit à Kehl où les troupes souabes résistèrent à peine, nous nous reportâmes rapidement en avant quoique, dès ce moment, il ne pût être question que de retraite. »

Et ce fut en effet à battre en retraite qu’il fallut se résigner. « Séparé du gros de l’armée aux mouvemens de laquelle il était soumis, le corps de Condé, fort de sept mille hommes environ, était dans une situation de plus en plus critique. Notre faible avant-garde sous les ordres de Mgr le duc d’Enghien, forcée à Offenbourg[1], n’avait déjà dû son salut qu’à la valeur et à l’infatigable activité de ce jeune prince. Tout annonçait que les passages des montagnes pour descendre aux sources du Danube nous seraient fermés. Mgr le prince de Condé était dans des transes mortelles pour la personne du Roi et me pressait de m’unir à lui afin de presser le départ de mon maître. Ayant appris la défaite du corps de Wartensleben qui nous servait d’appui, serrés nous-mêmes par un corps qui marchait sur nos

  1. Le 21 avril 1796.