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traces et avec lequel il nous avait déjà dû faire le coup de fusil, notre petite armée se retirait en bon ordre vers Riegel pour de là reprendre sur la gauche et gagner Dillingen et la Souabe.

« C’est dans cet état de choses, le Roi étant logé au château de Mahlberg qui domine la petite ville de Kupenheim, que Son Altesse sérénissime me fait appeler à son quartier par une pluie battante. Je monte à cheval. J’y cours.

« — D’Avaray, me dit le prince, il n’y a plus un instant à perdre ; enlevez le Roi cette nuit même ; prenez des habits bourgeois, joignez un chariot de poste, partez.

« Mgr le prince de Condé me développe alors tout ce que sa situation et sa responsabilité ont de terrible. Les généraux autrichiens eux-mêmes le sollicitaient de faire repasser au Roi la Montagne Noire tandis que les défilés étaient encore libres. En effet, il devenait fort à craindre que le temps nécessaire pour les atteindre ne donnât à l’ennemi le temps de s’y porter et, si c’était en force, nous étions indubitablement pris.

« Après avoir écouté Son Altesse sérénissime avec le respect dont j’étais pénétré pour sa personne et pour les motifs mêmes qui lui dictaient une démarche que je ne pouvais intérieurement blâmer, je répondis avec quelque vivacité et le sentiment profond de l’honneur de mon maître :

« — Personne n’est plus que moi pénétré de tout ce que cette situation et la vôtre, en particulier, Monseigneur, ont de funeste. Mais, qu’il me soit permis de m’étonner que Votre Altesse sérénissime s’adresse à moi pour une commission de ce genre. Il n’est aucun moyen qui ne m’eût été bon et qui n’eût été accepté par mon auguste maître pour atteindre les drapeaux de Condé. Mais, ce sont positivement les dangers présens qui l’y retiennent. Et que Votre Altesse, excusant mon langage, ne s’en étonne pas. Qu’elle aille trouver le Roi. Elle entendra sa réponse. »

La réponse du Roi fut conforme aux prévisions de d’Avaray, qui nous le représente marchant au milieu de ses gentilshommes « sans se laisser aborder par aucun sentiment indigne d’un soldat Bourbon. » Il regardait avec douleur les montagnes de l’Alsace.

« — Nous ne sommes pas à Ivry, disait-il, et ceci ressemble