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se flatter, il y avait des momens où j’espérais encore. Mme de Tourzel n’est venue au Temple que pendant deux ou trois mois au bout desquels on a découvert la correspondance qu’elle avait avec vous et on l’a empêchée de venir me voir ; on m’a resserrée et interrogée à son sujet, et elle a été enfermée pendant deux jours.

« Voilà une lettre qui est un peu longue ; je crains de vous avoir ennuyé ; je vous demande pardon de m’être si fort étendue. »

Ce n’est pas seulement par cette voie que le Roi recueillait peu à peu des détails propres à lui révéler combien avaient été cruels et barbares les traitemens infligés à la famille royale au Temple. Cléry, en venant à Vérone au mois de janvier, lui en avait apporté et, sur son conseil, rassemblait ses souvenirs afin de les publier. Puis, ce fut l’abbé Edgeworth de Firmon, le confesseur de Louis XVI, qui, dans les dernières semaines de 1796, arriva à Blanckenberg. Après s’être longtemps caché en France, il avait pu passer à l’étranger. Au-delà de la frontière, il avait reçu cette lettre du Roi datée du 19 septembre :

« J’ai appris, monsieur, avec une extrême satisfaction, que vous êtes enfin échappé à tous les dangers auxquels votre sublime dévouement vous a exposé. Je remercie sincèrement la divine Providence d’avoir daigné conserver en vous un de ses plus fidèles ministres et l’unique confident des dernières pensées d’un frère dont je pleurerai sans cesse la perte, d’un Roi dont tous les bons Français béniront à jamais la mémoire, d’un martyr dont vous avez le premier proclamé le triomphe et dont j’espère que l’Église consacrera un jour les vertus. Le miracle de votre conservation me fait espérer que Dieu n’a pas encore abandonné la France ; il veut sans doute qu’un témoin irréprochable atteste à tous les Français l’amour dont leur Roi fut sans cesse animé pour eux, afin que connaissant bien toute l’étendue de leur perte, ils ne se bornent pas à de stériles regrets, mais qu’ils cherchent, en se jetant dans les bras d’un père qui les leur tend, le seul adoucissement que leur juste douleur puisse recevoir. Je vous exhorte donc, monsieur, ou plutôt je vous demande avec instance de recueillir et de publier tout ce que votre saint ministère ne vous ordonne pas de taire ; c’est le plus beau monument que je puisse ériger au meilleur des Rois et au plus cher des frères.