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« Je voudrais pouvoir, Monsieur, vous donner des preuves efficaces de ma profonde estime ; mais je ne puis vous offrir que mon admiration et ma reconnaissance. Ce sont les sentimens les plus dignes de vous. »

L’abbé Edgeworth, au lieu d’écrire la relation qui lui était demandée, préféra la faire verbalement. Bientôt après, il débarquait à Blanckenberg, et se présentant à d’Avaray, l’avertissait qu’il attendait les ordres du Roi. D’Avaray s’empressait d’en prévenir celui-ci par un de ces billets qu’ils avaient coutume d’échanger journellement.

« Ce n’est point à M. l’abbé Edgeworth à prendre mes ordres, répondait aussitôt le Roi par la même voie : c’est à moi à être aux siens. Il ne peut douter de l’empressement que j’ai de le voir. L’heure qui lui sera la plus commode sera celle qui me conviendra le mieux. » Sur le bout de papier où nous relevons ces lignes, d’Avaray fait observer « qu’on pourrait envoyer le duc de Villequier pour le chercher, » et au-dessus de l’écriture de son ami, le Roi écrit en hâte : « J’avais déjà écrit à Villequier d’y aller avant le déjeuner. Mais, sur votre billet, je lui mande de n’y aller qu’après et de l’amener tout de suite. Ne ferais-je pas bien de le prier à dîner ? »

L’abbé Edgeworth dîna donc ce jour-là avec le Roi. La soirée fut consacrée par lui à raconter les douloureux souvenirs des 20 et 21 janvier 1793, et par le Roi à les entendre tandis que ses larmes ne cessaient de couler. Le lendemain, il entretenait sa nièce de cette touchante entrevue ; il l’invitait à écrire à l’abbé Edgeworth une lettre de reconnaissance, destinée à être rendue publique et en la datant du jour où elle avait recouvré sa liberté. Madame Royale ne se rendit pas à cet avis et donna en cette circonstance, pour la première fois, une preuve de la forte volonté dont elle devait, au cours de sa vie, fournir tant de preuves :

« La persuasion où je suis, mon très cher oncle, répondait-elle le 23 janvier 1797, que rien ne convient mieux à ma position que de ne pas occuper le public de moi n’est pas le seul motif de mon refus d’écrire en ce moment à M. Edgeworth. Je suis fondée à croire que l’Empereur désapprouverait une telle démarche, et je ne puis penser que vous insistiez à me la prescrire au risque de déplaire à mon libérateur. D’ailleurs, je ne vous dissimulerai pas que d’antidater ma lettre me ferait de la peine. Cela peut se pratiquer par des personnes plus âgées et