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à l’Affaire du Collier, — qui ne soit pour nous entièrement nouveau, par la manière toute nouvelle dont il est traité. Avec la patience, la conscience, et le discernement qu’il apporte à toutes ses recherches, et que d’ailleurs j’ai eu souvent déjà l’occasion de signaler et de louer ici[1], M. Lang, pour chacun de ces « mystères, » a pris la peine de remonter aux sources originales, sans tenir compte des légendes qui, par la suite, s’y sont substituées : et presque toujours son enquête a eu pour effet, comme dans le cas d’Elisabeth Canning, de dissiper le « mystère, » pour nous révéler simplement, au point de départ de celui-ci, une grossière supercherie, un essai de mystification, ou une manœuvre politique consistant à embrouiller et à dénaturer, de parti pris, les faits les plus simples et les plus innocens.


Prenons, par exemple, l’aventure de Gaspard Hauser. Celle-là est bien, je pense, — avec celle du Masque de Fer et celle des vrais et faux Louis XVII, — la plus fameuse de toutes, et la plus « mystérieuse. » De celle-là non seulement tout le monde sait le nom, mais il n’y a personne qui n’en ait lu quelque beau récit ; et vraiment aucune autre n’est mieux faite pour intriguer notre curiosité, sans compter qu’étant d’une date relativement récente, elle nous est affirmée par des témoignages trop nombreux et trop dignes de foi pour que nous puissions hésiter un moment à la croire authentique.

Le 26 mai 1828, vers quatre heures de l’après-midi, un cordonnier de Nuremberg, sur une place de cette ville, rencontre un jeune paysan qui, semblant avoir grand’peine à se tenir sur ses jambes, promène autour de lui des regards effarés. Conduit au bureau de police, le jeune garçon ne répond à toutes les questions que par des murmures inarticulés. Il parait craindre la lumière du jour, n’entend pas le son des cloches de l’église voisine, s’évanouit à la vue d’un plat de viande, et ne prend plaisir qu’à jouer avec un cheval de bois, comme un enfant de quatre ans. En fait, il a le langage, les manières, le développement intellectuel et moral d’un petit enfant. On trouve sur lui deux lettres, dont l’une, en caractères latins, est de sa mère, une « pauvre fille, » qui recommande son cher « Gaspard » à la charité publique : l’autre, d’un « pauvre artisan, » et écrite en caractères gothiques, affirme que ce « pauvre artisan » a recueilli l’enfant en 1812, l’a élevé, et « ne lui a jamais permis de faire un seul pas hors de sa maison. » L’auteur de la lettre ajoute : « Je lui ai déjà

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1901 et du 15 novembre 1903.