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appris à lire et à écrire ; son écriture est tout à fait pareille à la mienne. »

Quelques semaines plus tard, le mystérieux garçon, dont l’intelligence s’est ouverte et formée avec une rapidité extraordinaire, se trouve déjà en état de raconter, et même d’écrire, l’histoire de sa vie. Il déclare que, jusqu’à l’âge de seize ans, il est resté enfermé dans une prison, « longue d’environ six ou sept pieds, large de quatre et haute de cinq. » La prison avait deux petites fenêtres, mais toujours fermées d’épais volets de bois noir. Il couchait sur de la paille, ne vivait que de pain et d’eau, était tenu dans une nuit perpétuelle, — au point d’ignorer complètement l’existence de toute lumière, — et jouait avec des chevaux de bois, ou des « rubans bleus et rouges. » L’homme qui le gardait le battait souvent. Vers l’âge de quinze ans il lui a appris à se tenir debout, et lui a enseigné une dizaine de mots. Puis, un jour, il l’a fait sortir de sa prison, l’a conduit sur une route, et l’y a laissé.

Solennellement adopté par la ville de Nuremberg, Gaspard est confié aux soins d’un brave maître d’école, nommé Daumer. Le 17 octobre 1829, Daumer, ne le voyant pas venir à table pour le dîner, s’inquiète, explore sa maison, et finit par le découvrir gisant dans la cave, tout ensanglanté. Le blessé raconte que son ancien geôlier l’a rejoint, a voulu lui couper la gorge avec un rasoir, et, devant sa résistance, s’est enfui, après lui avoir fait seulement une entaille au front. L’entaille est d’ailleurs insignifiante, et Gaspard ne tarde pas à recouvrer la santé. Quant à l’assassin, il s’est échappé de la maison de Daumer aussi miraculeusement qu’il y était entré, sans y laisser le moindre signe de son passage. Mais cette nouvelle aventure achève de valoir à Gaspard Hauser une notoriété européenne, En 1831, un grand seigneur anglais, lord Stanhope, vient exprès en Allemagne pour essayer d’éclaircir le mystère. Il offre 500 florins de récompense à qui pourra le renseigner sur le passé du jeune garçon ; il conduit celui-ci à Presbourg, en Hongrie, Gaspard s’étant brusquement souvenu d’avoir entendu dire à son geôlier que son père habitait cette ville ; mais toutes les démarches tentées n’aboutissent à rien, et lord Stanhope retourne en Angleterre, après avoir mis son protégé en pension à Anspach, chez le docteur Meyer. Là, le 14 décembre 1833, une semaine environ avant la date fixée pour le retour de lord Stanhope, Gaspard Hauser se précipite dans le cabinet de son maître, lui montre une petite plaie qui saigne à son côté gauche, et lui dit, en son langage enfantin d’autrefois : « Allé au jardin de la