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Cour, — un homme, — avec un couteau, — a donné un sac, — a frappé, — j’ai couru, — le sac resté là-bas. » Vainement on cherche, sur la neige fraîche du jardin de la Cour, d’autres traces que celle des pas de Gaspard Hauser. On trouve bien, en vérité, un sac, sur le chemin : mais c’est un sac que l’on a vu déjà entre les mains de Gaspard. Et le pauvre garçon meurt, quatre jours après, la pointe du couteau ayant touché le cœur.

Tels sont les faits authentiques de l’histoire : et il faut bien reconnaître que, même dégagés des innombrables ornemens romanesques qu’on y a mêlés, ils ne laissent pas de rester encore assez surprenans. Surprenante aussi, l’impossibilité où l’on s’est trouvé, depuis trois quarts de siècle, de rien découvrir au sujet de l’origine et de l’enfance de Gaspard Hauser. Ou plutôt l’on a découvert ceci : que, en 1812, année présumée de la naissance de Gaspard, la grande-duchesse de Bade avait mis au monde un fils ; que ce fils était mort dans la nuit ; et que les médecins de la cour de Carlsruhe, sous prétexte d’épargner à la mère une émotion trop vive, avaient refusé de lui laisser voir le cadavre avant de l’enterrer. Pourquoi cet enfant, au lieu de mourir de mort naturelle, n’aurait-il pas été supprimé par des personnes que sa naissance gênait ? Pourquoi ne serait-il pas le mystérieux Gaspard Hauser ? C’est ce que s’était déjà demandé, en 1832, le juriste bavarois Feuerbach, — qui peut être considéré comme le véritable créateur de la « légende » de Gaspard Hauser ; — et l’hypothèse était à la fois si ingénieuse et si séduisante qu’il n’y a plus aujourd’hui un biographe de Gaspard qui ne se croie tenu d’imaginer quelque argument nouveau pour la soutenir.

Mais, à côté des faits authentiques que je viens de résumer, les témoignages contemporains nous en offrent d’autres, que tous les biographes jusqu’ici semblent avoir négligés, et qui, recueillis à présent par M. Andrew Lang, modifient singulièrement pour nous la signification de l’étrange aventure de Gaspard Hauser. Si c’est chose certaine, d’abord, que, au bureau de police de Nuremberg, l’inconnu n’a prononcé que des mots inarticulés, qu’il a paru redouter le jour, et ne pas entendre le son des cloches, par ailleurs le cordonnier qu’il a vu le premier, et d’autres témoins encore, affirment que, durant tout le trajet jusqu’au bureau de police, il s’est entretenu avec eux en bon allemand, a fort bien entendu leurs questions, et n’a nullement fait mine d’être gêné par la lumière du soleil couchant. Puis lorsque, trois semaines après, il s’est reconnu en état de parler et d’écrire couramment les récits qu’il a faits de son passé ont été si remplis de