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Restent à expliquer, en vérité, la tentative d’assassinat dans la cave de Daumer et celle qui, quatre ans plus tard, a entraîné la mort du pauvre garçon. Mais, ici encore, certains détails moins connus nous forcent à changer notre jugement. Nous apprenons, par exemple, qu’un jour, chez Daumer, Gaspard, furieux de s’entendre accuser de mensonge, s’est tiré un coup de pistolet qui l’a blessé à l’épaule. Or la prétendue tentative d’assassinat de 1829 s’est produite précisément après une scène du même genre, où l’excellent Daumer, révolté des mensonges incessans de son pupille, l’avait accusé d’être un imposteur. Et de même aussi, en décembre 1833, avant l’inexplicable attentat du jardin d’Anspach, Gaspard s’était entendu dire par le docteur Meyer que lord Stanhope, qui allait revenir, renoncerait sûrement à s’occuper de lui. Les reproches, en général, avaient pour effet de le plonger dans un véritable état de frénésie, où il achevait de perdre conscience de ses actes. A Anspach comme à Nuremberg, c’est lui-même qui se sera blessé, dans une de ses crises de mensonge hystérique, avec un vague désir d’attester par-là sa véracité. Cette fois encore, du reste, il ne semble pas avoir eu l’intention de se tuer. Lord Stanhope, s’appuyant sur l’opinion des médecins qui ont vu la blessure, nous affirme qu’il a simplement cherché, de nouveau, à se faire une entaille, et que c’est par accident que le couteau, après avoir traversé l’épaisseur d’une veste ouatée, a pénétré assez profondément dans les chairs pour atteindre le cœur. Aussi bien l’attitude du jeune homme, jusqu’à son dernier jour, nous prouve-t-elle qu’il ne se rendait nul compte de la gravité de sa situation.

Ainsi la part de « mystère, » dans toute cette aventure fameuse, se réduit à l’ignorance où nous demeurons toujours de l’origine et des antécédens de Gaspard Hauser. Celui-ci était sûrement un paysan, — car je n’ai pas besoin de dire que c’est folie pure de vouloir l’identifier avec l’enfant mort-né de la grande-duchesse de Bade ; — et, sans doute, à en juger par son accent, il venait d’un village de la Bavière ou de l’Autriche. Mais de quel village ? et comment ne s’est-il jamais trouvé personne pour le reconnaître ? et y a là, à coup sûr, un phénomène étrange, mais qui n’a, en somme, rien de mystérieux si l’on songe à la différence des moyens de publicité d’autrefois avec ceux dont la police et la presse disposent aujourd’hui. Aujourd’hui encore, du reste, les tribunaux français et étrangers jugent couramment des personnes dont on n’a pu découvrir ni le nom, ni la provenance, sans que nous songions trop à nous en étonner. Un problème plus intéressant serait de savoir si Gaspard Hauser lui-même se souvenait de son