Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me rendre toujours malheureuse, surtout si je devais y joindre le juste reproche avec le temps de faire encore des malheureux. C’est ce qui me persuade que vous ne voulez pas songer à mon mariage avant que la paix ne soit faite définitivement, et que toutes les affaires ne soient arrangées, et qu’on sache positivement ce que les miens et moi-même avons à craindre ou à espérer. Voilà ma façon de penser. Je suis persuadée que c’est la vôtre. Vous êtes trop juste et trop raisonnable pour regarder les choses à un autre point de vue que celui-là. »

Cette expression nouvelle d’une volonté qu’à plusieurs reprises déjà le Roi avait vue se dresser devant la sienne ne laissa pas de lui déplaire. Mais il aimait trop sa nièce et tenait trop à la ménager pour laisser percer son mécontentement. Sa réponse est affectueuse, quoique brève :

« Je sais très bien, ma chère enfant, que ce ne sont pas les murs d’une prison qui font le malheur : j’ai recouvré ma liberté, et les pluies de mon cœur n’en sont pas moins vives. Mais séjour pour séjour, il n’y en a pas qui ne soit préférable à une prison. Je ne crois pas que vous puissiez concevoir l’idée que je veuille vous rendre malheureuse, ni par vous-même, ni par d’autres êtres qui ne me sont pas moins chers qu’à vous : cette idée serait trop offensante pour moi. C’est au contraire votre bonheur qui est le principal objet de mes vœux. Fiez-vous à ma tendresse pour fixer l’époque de ce qui doit le plus y contribuer. Si je n’avais écouté que le désir de mon cœur, cette époque serait déjà arrivée. Mais, s’il ne dépend pas tout à fait de moi de la-hâter, du moins mes souhaits les plus ardens, et je puis dire aussi, ceux de tous les bons Français, ne cesseront de l’appeler. »

Bien que ce langage donnât toute satisfaction à Madame Royale, elle n’en conserva pas moins l’impression qu’on avait cherché à peser sur sa volonté pour précipiter la conclusion d’un mariage auquel elle était plus résolue que préparée et qu’elle entendait ajourner encore. Ce fut le premier nuage qui s’éleva entre elle et le Roi, le premier et, hâtons-nous de le dire, le seul. Il allait être promptement dissipé. Mais, en attendant, il eut pour effet d’éveiller l’attention de la princesse sur diverses circonstances qui ne l’avaient pas encore frappée et qui maintenant, en se groupant dans sa pensée, constituaient à ses yeux une preuve de négligence envers elle.

Elle n’accusait ni le Roi, ni le Duc d’Angoulême, ni la Reine,