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encore dans le Palais impérial que dans les autres classes de la société. Il n’y a pas six semaines que l’Impératrice, pour ravaler Mgr le duc d’Enghien disait de lui :

« — Oh ! pour celui-là, il est bien Français ! »

Madame avait donc dû recueillir sur sa famille et ses compatriotes plus de traits satiriques que d’éloges. Mais cela ne l’avait pas empêchée de bien recevoir tous ceux d’entre eux qu’elle jugeait dignes de son estime et de sa confiance. A cet égard, les exemples étaient nombreux : le duc d’Enghien, ses officiers, le comte d’Albignac, le comte du Cayla, le marquis de Bonnay lui-même et tant d’autres. Très pieuse, elle ne s’était montrée froide et réservée que pour les gens dont elle avait ouï dire que leur conduite était peu régulière.

Quant aux craintes conçues par le Roi en ce qui touchait les intentions de sa nièce, craintes résultant de ce que son style n’était plus aussi « prononcé » qu’au moment de sa sortie de France, Bonnay, ses informations prises, jugea qu’elles n’étaient pas fondées. Lorsqu’elle avait été mise en liberté, Madame Royale avait « la tête montée » et par les insinuations de Mme de Soucy et par le mécontentement que lui causait ce qu’on lui avait dit des intentions de l’Empereur. A peine hors de sa prison, mise au courant des vœux de ses parens et résolue à y obéir, elle n’avait pas cru pouvoir mettre trop de force à le déclarer De là, le ton énergique des lettres qu’elle écrivait alors, à l’effet de ne laisser planer aucun doute sur sa volonté. Mais, deux années s’étaient écoulées depuis. Cette volonté était connue, acceptée ; personne ne songeait à la contrarier ; il n’était donc pas utile qu’elle se manifestât avec autant de chaleur qu’à l’époque où la Cour de Vienne paraissait y mettre obstacle.

Bonnay ne méconnaissait pas cependant que si les résolutions de la princesse semblaient ralenties, ce pouvait bien être aussi parce que son cœur et son amour-propre avaient été blessés du peu de soin déployé pour lui plaire, pour l’attacher et pour s’en faire aimer, ou encore parce qu’on avait voulu hâter son mariage sans sa participation et contre ses idées. Sur ce point, il s’exprimait sans réticences dans le rapport qui nous guide. Pouvait-on croire qu’à moins d’une disposition romanesque que son éducation ni les circonstances de sa vie n’avaient pu lui donner, Madame Royale aimât son cousin avec assez de passion pour tout braver, afin d’accélérer le moment de son mariage ?