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qu’ils n’ont pas de chemise. Je les ai croisés autrefois en personne jusque dans Regent Street ; maintenant il faut les chercher au plus profond des slums, ou les demander aux dessins de Gavarni. En admettant que la police les refoule et les cache, que la workhouse les engloutisse de force, il y a cependant des faits qui témoignent du progrès. Les deux grandes prisons de Newgate et de Millbank sont tombées, n’étant plus nécessaires, me disent les optimistes. On peut répondre que chez nous aussi la Roquette est détruite, mais que Fresnes y supplée dans de plus grandes proportions. Non, ce n’est pas cela : statistiques en main, il est prouvé que la criminalité décroît plutôt en Angleterre.

Et pourquoi les prisons y tendent-elles à se fermer tandis que dans d’autres pays il semble devenir urgent d’en ouvrir de nouvelles ? C’est grâce, n’en doutez pas, aux colonies sociales où chacun prête la main à la moralisation du peuple ; c’est grâce surtout au dévouement énergique avec lequel est traité le problème de l’éducation des enfans pauvres et abandonnés. Les maisons de correction proprement dites ont fait leur temps. Et les classes dirigeantes, vraiment dignes de ce nom, n’attendent pas que le mal du vagabondage ait commencé à s’emparer de l’enfant ; on emploie d’avance tous les moyens pour le défendre contre les mauvais exemples, contre les tentations de la rue. Je crois bien qu’aucune charité sentimentale ne dicte cet effort. L’esprit public, avant tout, est à l’œuvre ; si la société entreprend d’élever les petits misérables voués à l’ignorance et au vice, c’est afin d’assurer dans l’avenir un contingent de bons citoyens ; elle ouvre des écoles pour n’avoir pas à entretenir des bagnes ; de même elle soutient des hôpitaux, — tous les hôpitaux sont supportés, on le sait, par des contributions volontaires, — afin que la Grande-Bretagne ait une population aussi saine, aussi robuste que possible. C’est peut-être là en effet, lorsqu’on y réfléchit, la forme sinon la plus poétique, du moins la plus rationnelle, la plus pratique du patriotisme et de la bienfaisance.

Mrs Humphry Ward aura beaucoup contribué à cette œuvre de préservation. Il me semble que les lecteurs français de la Fille de lady Rose apprendront avec plaisir à connaître l’écrivain dans un rôle de Providence maternelle qui n’est pas le côté le moins intéressant de sa personnalité. Comme Disraeli eut cette fortune rare de réaliser dans la politique ce qu’il avait créé dans