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Par-delà les grilles ouvertes du jardin, un vaste terrain vague représente, pour les bébés, une plage, à la mer près. Armés de seaux et de pelles, ils fouillent le sable avec ivresse et je ne doute pas que l’ombre souriante et satisfaite d’un grand romancier qui aima les miséreux et sut peindre les figures inoubliables d’Olivier Twist, de Smike, de bien d’autres victimes innocentes, ne se tienne parmi eux, puisque la maison de Dickens s’élevait jadis sur ce terrain propice aux jeux de l’enfance déshéritée. Rien de plus gai que cette récréation d’un peuple d’enfans, sans bruit d’ailleurs, sans cris ni disputes. Il n’y a cependant pas de règle sévère, pas de punitions ; la menace d’être renvoyé suffit, tant ces pauvres petits chérissent le Paradis qu’est pour eux la belle maison rouge avec ses pelouses, ses ombrages et les anges gardiens, singulièrement semblables à d’intelligens messieurs et à de jolies dames, qui l’habitent pour le plus grand profit de tous.

Non sans regret et pressés par l’heure, nous nous éloignons de la joyeuse kermesse enfantine, fête quotidienne qui est aussi le meilleur des enseignemens, car, comme l’a remarqué une. personne dévouée à cette œuvre et à ses annexes, la nurse Carwin, « tous les maux du siècle, agitation, inconstance, avidité, développement exagéré du moi, empoisonnent déjà ces petits êtres ; leur premier mouvement serait de s’arracher les joujoux et de les accaparer ; le jeu met à nu leurs défauts sans contrainte, mais le jeu fait aussi toucher du doigt les progrès accomplis ; les plus tapageurs finissent par s’intéresser à un amusement tranquille, les plus égoïstes apprennent que le plaisir doit être partagé, ils connaissent la joie d’avoir accompli quelque chose, fût-ce la construction d’un château de cartes ; l’ordre se gagne en rangeant les jouets pour les retrouver le lendemain ; on se soumet tout doucement et de soi-même à une loi et le pli en est pris pour la vie. » Le respect de la loi est bien le trait caractéristique en effet du pays où nous sommes et le secret de sa grandeur.

J’entends l’archdeacon Wilberforce, dire auprès de moi : — « Le plus sûr moyen de moralisation c’est le jeu. » — Grave par état, il croit que la gaîté est une vertu.

L’heure est venue de retourner dans la salle où les amis de l’école vont parler de sa situation présente et de ses développemens futurs.

Le général sir Neville Lyttelton préside la séance ; après lui