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ainsi. Mrs Ward, pour bien des motifs faciles à concevoir, se plaît dans cette vieille demeure où elle échappe au monde et aux mille obligations qui la détourneraient de sa tâche, si elle ne savait résolument rompre avec cette sorte d’entraves par la fuite. Lorsque la composition d’un roman commence à l’absorber, elle quitte sa maison de Grosvenor Place à Londres, pour Stocks, à moins qu’elle n’aille plus loin encore, au bord du lac de Côme.

En ce moment elle achève le Mariage de William Ashe, déjà en cours de publication dans le Harper ; je la vois résolument aux prises avec son œuvre où évolue cette fois encore le grand monde anglais, y compris le groupe de femmes que leur qualité d’archanges (autrefois elles s’intitulaient plus simplement souls, âmes) autorise à toutes les imprudences et au parfait dédain des scrupules bourgeois. Nous causons de la première partie, très mouvementée, du livre dans ce vaste cabinet de travail où l’entourent ses souvenirs d’Oxford, la patrie de son intelligence. Je regarde, curieuse, les portraits des Arnold, ses ancêtres, qui lui ont légué la profondeur de la pensée, les préoccupations spirituelles devenues comme la base de son talent de romancier. Cette belle figure de mystique est celle de son père ; il adopta le catholicisme par conviction ardente, en sacrifiant sans hésiter à ses croyances nouvelles sa carrière et tous les intérêts de sa famille ; et voilà feu Mathieu Arnold que nous connaissons surtout comme un admirable essayiste, bien qu’il soit aussi l’un des quatre grands poètes contemporains de l’Angleterre. Les rayons de la bibliothèque portent des livres de philosophie et d’exégèse qu’on serait étonné de trouver chez une femme, si cette femme n’était l’auteur de Robert Elsmere. Elle a commencé par des recherches ardues relatives à la littérature et aux doctrines qui surgirent durant les huit premiers siècles de notre ère, écrivant, toute jeune, à côté des professeurs de l’université, dans un imposant Dictionnaire de Biographie chrétienne. Je vois signés de son nom des articles sur l’arien Léovigild, roi des Visigoths d’Espagne, et sur Léandre, évêque métropolitain de Séville au XVe siècle. C’était ainsi qu’elle préludait aux œuvres d’imagination.

Je l’écoute avec un profond intérêt parler des conducteurs d’âmes qu’elle a déguisés dans ses romans en les appelant Grey, Courtenay, etc., sans rien changer à leur caractère ni aux actes de leur noble vie. Cette pièce un peu austère est évidemment pour elle hantée par le passé, un passé fécond en très hautes