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matière, et qui tous ont professé dans cette affaire un admirable optimisme. Pour notre compte, nous avons toujours jugé le mot dangereux, d’abord parce qu’il ne devait pas correspondre jusqu’au bout à la réalité des choses, et ensuite parce que, entendu et peut-être mal compris à Fez, il risquait d’y entretenir des illusions d’un autre genre, mais également dangereuses, en faisant croire au sultan et à ses conseillers que nous étions absolument décidés, et quoi qu’il arrivât, à ne jamais faire usage de nos armes. C’est une mauvaise manière de préluder à une action quelconque dans un pays quelconque, mais surtout dans un pays musulman. Les musulmans, en effet, ne croient qu’à la force ; ils y reconnaissent très distinctement la volonté divine ; et si on leur dit par avance qu’en aucun cas on ne l’emploiera, cela les rassure à l’excès.

On n’a d’ailleurs jamais vu dans l’histoire, depuis que le monde est monde, un pays en pénétrer pacifiquement un autre et étendre sur lui par la simple persuasion, soit sa domination, soit son protectorat, soit même sa prépondérance exclusive, et il n’y a aucun motif de croire que nous serons plus heureux au Maroc que nous ne l’avons été, et que d’autres ne l’ont été partout ailleurs. Les populations arabes qui occupent le nord de l’Afrique deviennent de plus en plus rudes et belliqueuses à mesure qu’on s’avance de l’orient vers l’occident. Elles ne le sont pas du tout en Égypte, où nous avons refusé, il y a vingt et quelques années, d’aller avec l’Angleterre, qui devait y rencontrer le minimum de résistance qu’un peuple est capable d’opposer à un autre. Elles le sont un peu plus en Tunisie, mais encore médiocrement. Nous savons par une longue expérience qu’il n’en a pas été de même en Algérie, et il est infiniment probable que nous continuerons cette expérience au Maroc. Espérons toutefois que les enseignemens du passé ne seront pas perdus, et que nous ne renouvellerons pas quelques-unes des fautes de conduite que nous y avons commises. Mais s’imaginer que nous entrerons au Maroc comme chez nous, ou comme des amis qu’on y accueillera à bras ouverts parce que nous y apporterons cette civilisation européenne dont nous sommes si fiers, alors que les Marocains, qui l’ignorent, la méprisent profondément, c’est pure chimère. Nous ne saurions dire dans quelle mesure le gouvernement s’y est laissé prendre. Il a bien paru y croire, et il a communiqué sa conviction au Parlement, d’ailleurs peu éclairé sur la question ; mais il était trop éclairé lui-même pour avoir nourri l’illusion que le rameau d’olivier suffirait jusqu’à la fin dans notre longue entreprise, et que nous n’aurions qu’à nous en faire précéder pour voir