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La rue ascendante qui mène à la maisonnette de la danseuse est solitaire, comme toujours, et triste cette fois, sous le ciel orageux et sombre, avec ces touffes d’herbes, signes de délaissement, que le mois de juin a semées çà et là entre les dalles. A cette porte, là-bas, ce gros chat assis avec dignité et regardant passer les hirondelles, si je ne m’abuse, c’est bien M. Swong-san, le minois pompeusement encadré par sa fraise à la Médicis, en mousseline tuyautée, qu’une rosette attache sous le menton. Et, derrière ce châssis de papier qui vient de s’ouvrir, au premier étage, cette petite fille en robe simplette, qui se retrousse les manches, un savon à la main, pour barboter des deux bras dans une cuve de porcelaine, c’est Pluie-d’Avril, la petite fée des maisons de thé et des temples, vaquant aujourd’hui à de menus soins d’intérieur, comme la dernière des mousmés.

Et qu’elle est mignonne, surprise ainsi ! Je ne l’avais jamais vue dans cette humble robe de coton bleu, ni ne me l’étais représentée lavant elle-même ses fines chaussettes à orteil séparé, faisant acte de ménagère économe. Pauvre petite saltimbanque. somme toute, malgré ses falbalas de métier, pauvre petite, obligée peut-être de compter beaucoup pour faire marcher le ménage à trois : elle, la vieille dame et le chat…

Vite elle veut s’habiller, un peu confuse, mettre une belle robe pour m’offrir le thé :

« — Non, je t’en prie, garde ton costume d’enfant du peuple, ma petite Pluie-d’Avril ; je te trouve plus réelle ainsi, et plus touchante ; reste comme ça !… »

En montant chez Mme Prune, une sorte de pressentiment m’était venu du trop galant spectacle qui pouvait m’y attendre. C’était l’heure de la baignade, que les Nippons, les soirs d’été, pratiquent sans mystère. Dans ce haut faubourg, où les mœurs sont demeurées plus simples qu’en ville, cela se passait encore comme au temps de Chrysanthème : des personnes sans malice, tant d’un sexe que de l’autre, se rafraîchissaient dans des cuves de bois, ou des jarres de terre cuite, posées sur les portes ou dans les jardinets, et leurs visages, émergeant de l’eau claire, témoignaient d’un innocent bien-être… Si Mme Prune aussi, me disais-je, allait être dans son bain !…

Et elle y était !

Quand j’eus fait tourner le mécanisme à secret du portillon, j’aperçus dès l’abord une cuve, qui m’était depuis longtemps