Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connue, et d’où s’échappait une nuque charmante, comme sortirait une fleur d’un bouquetier. Et la baigneuse, spirituelle et enjouée même dans les occurrences les plus prosaïques de la vie, s’amusait gracieusement toute seule à faire : « Blou, blou, blou, brrr ! » en soufflant à grand bruit sous l’eau.


1er juillet. — Combien c’est changé dans les sentiers de la montagne ! Une folle végétation herbacée a tout envahi ; elle a presque submergé les tombes, comme une innocente et fraîche marée verte, venue en silence de partout à la fois. Quand je monte aujourd’hui chez la mousmé Inamoto, sous un ciel pesant et chargé d’averses, mes pieds s’embarrassent dans les gramens, les fougères, et, le long du mur qui enferme le bois, on ne voit plus la foulée que j’avais faite.

La mousmé Inamoto, je ne me figurais pas qu’elle serait là, à m’attendre, et j’e me sens tout saisi d’apercevoir, au-dessus du mur gris, son front, ses deux yeux qui me regardaient venir.

« — C’est moi que tu attends ? Tu savais donc ?

« — Hier, dit-elle, quand les canons ont tiré, j’ai reconnu le grand vaisseau de guerre français. Il n’y a que le tien si grand et peint en noir. »

Moi qui craignais de ne pas la retrouver, ou d’être désenchanté en la revoyant ! Je crois seulement qu’elle a un peu grandi, comme les fougères de son parc, mais elle est même plus jolie, et j’aime encore davantage l’expression de ses yeux.

De nouveau nous voilà donc ensemble et à l’abri de l’autre côté du mur, installés sur la terre et les herbages, la tête pleine de choses que nous voudrions exprimer, mais obligés de nous en tenir à des mots bien simples, à des tournures bien enfantines, qui ne rendent plus rien du tout.


2 juillet. — Mme l’Ourse, elle, n’a point grandi comme la mousmé Inamoto, mais il me semble qu’elle s’est encore défraîchie et que son sourire, toujours prometteur, me montre des dents plus longues. Cependant je continue de fréquenter sa vieille petite boutique, aux poutres noircies et mangées par le temps, d’abord parce qu’elle est sur le chemin de la nécropole surplombante, presque dans son ombre, ensuite parce qu’on y trouve maintenant ces beaux lotus, qui sont incomparables dans les vieux cloisonnés de ma chambre de bord. — Je suis persuadé