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une date prochaine. Malheureusement, à cet égard, l’indécision ne semblait pas près de cesser. Outre que les questions pécuniaires qui ne pouvaient être résolues que par la Cour d’Autriche n’étaient pas toutes élucidées, Madame Royale, dans sa lettre, témoignait de sa répugnance à faire le voyage de Russie pendant l’hiver et de son désir de ne se mettre en route qu’au printemps. On ne pouvait lui refuser les délais qu’elle demandait, alors surtout qu’elle se proposait de les consacrer à mieux témoigner à la famille impériale, avant de la quitter peut-être pour toujours, la reconnaissance qu’elle lui devait. Il n’y avait donc qu’à s’y résigner et, à Mitau, on s’y résigna, tout en espérant que les sentimens de Madame Royale contribueraient à les abréger.

Vers ce temps, Madame Royale reçut une lettre du Comte d’Artois datée d’Edimbourg, le 3 août. Elle fut apportée à La Fare par Cléry qui, après avoir fait imprimer son Journal à Londres[1], s’en retournait à Vienne. C’était la première fois que le futur beau-père de Madame Royale lui parlait à cœur ouvert.

« Je profite avec bien de l’empressement, ma chère nièce, du départ du fidèle Cléry, pour vous écrire aussi librement que je pourrais vous parler. Il y avait bien longtemps que j’attendais une occasion aussi sûre et mon cœur en était vivement impatient.

« Je ne retracerai point ici nos malheurs passés ; ils sont gravés dans nos âmes d’une manière ineffaçable. Nous éprouverons un jour quelque adoucissement en nous rappelant les vertus des êtres qui causent nos éternels regrets. Mais, aujourd’hui, nous ne devons nous occuper que du soin d’honorer leur mémoire, en accomplissant les volontés dont ils nous ont rendus dépositaires.

  1. Le Roi à cette occasion le nomma chevalier de Saint-Louis : « Il y a longtemps, mon cher Cléry, que je cherche, non le moyen de vous récompenser ; des services comme les vôtres trouvent leur récompense en eux-mêmes, mais de me satisfaire en vous donnant une marque d’honneur qui puisse attester à la fois votre fidélité et ma reconnaissance. Je crois l’avoir trouvée. La devise de l’ordre de Saint-Louis fait assez connaître que Louis XIV l’institua pour être le prix de la valeur. S’il ne la destina qu’aux services militaires, c’est que les preuves les plus éclatantes de la vertu qu’il voulait honorer semblaient réservées à la profession des armes. Mais, pouvait-il prévoir le sort qui attendait ses descendans ?… Vous avez montré non moins de courage dans la prison du Temple que le guerrier qui brave la mort au champ de l’honneur et, en vous accordant la décoration qui lui sert de récompense, je ne blesse point l’esprit de cette noble institution. LOUIS, 15 juillet 1798. »