Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devait nécessairement aboutir et faire leur bonheur à tous deux. » La jeune fille avait besoin d’être rassurée sur ce point. « Elle voudrait bien aussi ne pas éprouver le sentiment qu’elle est coupable en lui écrivant, puisqu’elle désobéit à la volonté de ceux qu’elle aime. » Deux années se passèrent ainsi, après lesquelles, les préventions de sa famille s’étant graduellement dissipées, nos deux amoureux obtinrent la permission non seulement de s’écrire, mais de se voir. Leurs lettres, jusque-là un peu contenues, trahissent dès lors toute leur joie. La mère de Constable étant morte, Maria essaie de consoler son ami par une lettre touchante dont il la remercie avec émotion. « Il est heureux d’apprendre les bonnes dispositions du père de la jeune fille à son égard ; il le vénérera toujours pour la bienveillance qu’il lui témoigne et elle peut l’en croire, car il ne permet pas aux mauvais sentimens de demeurer dans son cœur, par amour du prochain et surtout d’elle-même, puisqu’elle est tout pour lui. » Bientôt après, en mai 1816, Golding Constable étant aussi mort, son fils héritait d’une somme de 4 000 livres. Cette aisance qui lui survenait et plus encore l’aménité de son caractère triomphaient bientôt des dernières résistances de la famille de Maria, et l’archidiacre Fisher, ami du peintre, s’étant chargé d’une nouvelle démarche en sa faveur, parvenait à décider enfin le mariage du jeune couple qu’il célébrait lui-même en l’église Saint-Martin, le 2 octobre 1816.

Alors commencèrent pour l’artiste des années de bonheur. Il était désormais à l’abri du besoin et pouvait travailler à sa guise. Préférant à tout le charme de son intérieur, il n’éprouvait aucun désir de sortir de chez lui. Les réunions mondaines ne l’avaient jamais attiré, et il déplorait le temps perdu dans des sociétés frivoles. « Sa famille, la nature, son atelier, voilà ce qu’il aimait par-dessus tout. » Ses lettres de cette époque témoignent d’un enthousiasme et d’une allégresse qui, dans cette âme naturellement religieuse, confinent à la prière. Durant une courte absence qu’il fait en mai 1819, transporté par la beauté du printemps qui éclate autour de lui, il écrit à sa femme : « Il semble que tout fleurit et s’épanouit dans la campagne. À chaque pas, de quelque côté que je regarde, je crois entendre murmurer près de moi ces paroles sublimes de l’Écriture : « Je suis la Résurrection et la Vie. » Partout, dans la nature, il voit la main de Dieu, l’Esprit de Dieu, et il ne s’approche d’elle qu’avec respect.