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chemin qui serpente à travers les cultures, un gamin couché à plat ventre dans le gazon, boit à même à l’eau vive d’un ruisseau sur les bonis duquel se pressent des tussilages aux larges feuilles, des ronces aux folles pousses et des spirées en fleurs. Près de là, le chien du petit pâtre veille sur quelques moutons confiés à sa garde. Au loin, s’étend une paisible campagne dont des coteaux boisés ferment l’horizon, et au milieu de vastes prairies, on aperçoit les maisons et l’humble clocher d’un village tapi dans les vergers. Tout est baigné, inondé de lumière et comme regorgeant de sève. Pour la première fois, apparaissent dans le paysage moderne ces beaux verts francs que déjà les primitifs français ou flamands nous avaient montrés, mais qui, après eux, avaient presque complètement disparu. Constable aborde de nouveau toute la gamme de ces verts, avec une entière sincérité. Dans le Champ de blé, leur éclat est encore exalté par le contraste voulu des quelques rouges qu’il leur oppose : les toits du village, les coquelicots dont l’herbe est émaillée et la note très vive du gilet du petit pâtre, qui s’accorde très heureusement avec les tonalités environnantes.

Au lieu de cette atmosphère un peu lourde et accablante, c’est un air pur et léger qu’on respire dans le Moulin de Dedham (South Kensington). De la terre rafraîchie, par la nuit s’élève une vapeur diaphane que le soleil montant à l’horizon va bientôt boire. Sur le ciel clair les silhouettes des arbres enveloppées de la brume matinale se détachent doucement. La vie commence à se réveiller dans ce joli coin. Avec des cris joyeux, les hirondelles raient de traits d’argent la surface de l’eau tranquille ; des chevaux de halage, encore engourdis, s’étirent paresseusement avant de reprendre leur tâche monotone ; plus loin, une barque à la voile blanche semble glisser parmi les prairies. Partout des formes placides, des couleurs limpides et délicatement nuancées ; partout une impression de paix et d’intime sérénité.

Une autre fois, comme dans Hadleigh-Castle, l’artiste est séduit par le vaste panorama qui se déroule à ses pieds du haut d’une éminence que dominent les ruines d’un vieux château et son donjon éventré, avec une immense étendue de plages découvertes à marée basse ; au loin, un mince ruban de mer, et dans le ciel mouvementé, un vol de goélands. Il semble en vérité qu’on respire à pleins poumons les sains effluves de l’air salin répandus dans l’espace.