Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministériels parler de leur ministère ! Leur sévérité à son égard n’est pas moindre que la nôtre. Les uns l’accusent de stérilité, et ils n’ont pas tort. Les autres lui reprochent avec amertume les derniers scandales qui viennent d’éclater, et ils ont encore plus raison.

Décidément le poids de la délation est difficile à supporter devant le pays. Les révélations qui se poursuivent, sans rien ajouter aux impressions des premiers jours qui ont été si vives et si profondes, produisent en se répétant une sorte d’énervement qui, peu à peu, se répand. La majorité partout, qui était réelle hier, tandis qu’elle est fictive aujourd’hui, a manqué une belle occasion de se perpétuer : c’était de désavouer hautement le ministère de la délation et de le sacrifier. Le ministère lui-même aurait peut-être pu se sauver, au moins pour quelque temps, si, prétextant son ignorance de ce qui s’était passé, il avait exprimé autrement que du bout des lèvres une horreur sincère pour des procédés de police dégradans et salissans. Pourquoi, ni la majorité, ni le gouvernement ne l’ont-ils fait ? Pourquoi, après l’embarras des premiers jours, ont-ils cherché à sauver les coupables tout en condamnant leur faute ? Pourquoi ont-ils plaidé en leur faveur les circonstances atténuantes ? Pourquoi ont-ils maintenu en fonctions des délateurs notoires ? Pourquoi ont-ils décoré au jour de l’an un délateur présumé ? Parce que, derrière la délation et les délateurs, il y a une puissance plus forte qu’eux et qui les fait trembler, la franc-maçonnerie. La franc-maçonnerie ayant pris la défense des pourvoyeurs de fiches individuelles, gouvernement et majorité ont dû s’incliner ; mais celle-ci l’a fait avec peine et non sans se débander quelque peu. Les élections approchent : c’est une fâcheuse cocarde à arborer devant le corps électoral que celle de la délation ! Beaucoup le pensent sans oser le dire, puisque la franc-maçonnerie ne permet pas de le dire, mais agissent en conséquence. Si encore l’agitation s’apaisait ? si on pouvait oublier ? si on pouvait surtout faire oublier ? Mais non ! Le gouvernement a eu beau dire qu’en voilà assez, et qu’il ne laissera pas inquiéter plus longtemps de braves citoyens qui ont mis trop de zèle peut-être à faire leur devoir, et un zèle maladroit, mais dont les intentions étaient pures : l’opinion publique passe outre, et continue de demander le châtiment des coupables.

Quoi de plus significatif à ce point de vue que l’adresse de protestation dont les membres de la Légion d’honneur ont saisi le grand chancelier de l’ordre ? Les amis du gouvernement ont d’abord essayé de s’en moquer. Ils l’ont appelée la « pétition des vieux messieurs, » comme si ce mot devait suffire à la ridiculiser. Nous reconnaissons