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Madagascar. Il était composé de volontaires instruits et forts, choisis un peu partout parmi un nombre considérable de postulans. Ses cadres, officiers et sous-officiers, étaient remarquables. Mais personne ne se connaissait : le moral n’existait pas ; il ne pouvait pas exister et, quelques semaines après le débarquement, le régiment avait péri. N’insistons pas sur cette preuve douloureuse de nos erreurs d’organisation. Ceux qui n’en seraient pas convaincus n’ont qu’à consulter les archives du 200e régiment d’infanterie. Fonder uniquement une armée sur l’appel des réserves implique une méconnaissance complète des lois qui régissent les forces morales sans lesquelles il n’y a pas d’armée. Faire ressortir cette vérité est le but de cette étude. Quand le mal est connu, le remède apparaît.


Que la valeur d’une troupe dépende essentiellement de son moral, sur ce principe tout le monde est d’accord. Il peut même servir à clore les discussions d’ordre stratégique ou tactique, car l’histoire enregistre souvent comme des traits de génie les plus mauvaises combinaisons, lorsque l’ascendant moral des combattans les a fait réussir. Mais qu’est-ce que le moral d’une troupe. Quelle en est l’essence ? Peut-il se créer à volonté ? Comment se maintient-il ? Comment se développe-t-il ?

A entendre la plupart de ceux qui en parlent, il semblerait possible de donner du moral à une troupe comme se donne l’instruction militaire ; et, dès lors, nombreux sont les esprits prêts à rendre les chefs responsables, en toute circonstance, de l’état moral des hommes qui sont sous leurs ordres. Avec une armée de soldats anciens et depuis longtemps tenus en main, cette manière de voir serait en partie justifiée ; mais, dans une armée où la plupart des combattans sont fournis par des réserves, la responsabilité des chefs peut-elle être engagée au même titre ? Du moment où les officiers doivent, dès les premiers jours d’une campagne, mener au feu des hommes que la plupart du temps ils n’ont jamais vus, dont ils ne connaissent ni le nom, ni le caractère, ni les aptitudes, et dont ils sont eux-mêmes inconnus, comment pourraient-ils être rendus responsables de leur état moral ?

Or, dans notre armée, les réservistes constituent la masse principale des troupes de campagne. Ils passent sans transition et sans délai de leur situation du temps de paix aux plus rudes épreuves de la guerre. Nécessairement, ils apportent dans les