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bon ? » Mademoiselle avait vendu en son absence une chaîne de perles. « — Où est l’argent ? » demandait Lauzun. Il prétendait tenir les cordons de la bourse, et ne plus être « comme un gueux. » Il s’étonnait que Mademoiselle n’eût pas songé à lui meubler « un bel appartement » pour son arrivée, à lui organiser sa maison, à mettre l’un de ses carrosses à sa disposition. Il racontait dans le monde qu’elle le laissait sans « un sol ; » qu’elle ne lui avait rien donné que des diamans, pour mille pistoles en tout, et quels diamans ! si « vilains, » qu’il les avait vendus « pour vivre. » C’est l’éternelle histoire du jeune mari qui veut en avoir pour sa peine.

Le « bel appartement » existait et l’attendait, mais au château d’Eu ; le Roi ne l’aurait pas toléré au Luxembourg. Ceux qui ont visité Eu avant l’incendie de 1902 n’ont pas oublié le vol d’Amours qui traversait le plafond d’une chambre située au-dessus de celle de Mademoiselle. La chambre aux Amours était celle de Lauzun, qui ne fit pas honneur au symbole. Après s’être laissé attendre pendant trois semaines, il ne fut pas plutôt arrivé, qu’il commit l’imprudence inconcevable de pourchasser les filles des environs sous les yeux de Mademoiselle. C’en était trop. Mademoiselle battit Lauzun, le griffa et le mit à la porte. Il devait s’y attendre. Il fut néanmoins assez penaud pour se prêter à un raccommodement. La comtesse de Fiesque servit d’intermédiaire.

Il y avait au château d’Eu une grande galerie pleine de portraits de famille. Mademoiselle parut à l’un des bouts : « — Il était à l’autre bout, et il en fit toute la longueur sur ses genoux jusqu’aux pieds de Mademoiselle[1]. » Peut-être furent-ils sincères en se pardonnant ; mais, lorsqu’on a commencé à se battre, l’on continue, que ce soit chez les princes ou dans la hutte d’un charbonnier : « — Ces scènes, plus ou moins fortes, recommencèrent souvent dans la suite. Il se lassa d’être battu, et, à son tour, battit bel et bien Mademoiselle, et cela arriva plusieurs fois, tant qu’à la fin, lassés l’un de l’autre, ils se brouillèrent une bonne fois pour toutes et ne se revirent jamais depuis. » Leur dernière querelle est contée tout au long dans les Mémoires de la princesse.

On était au printemps de 1684. La France faisait la guerre à

  1. Saint-Simon, Mémoires. Saint-Simon tenait tous ces détails d’un témoin oculaire.