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faire relier élégamment. Ce sont ses doctrines politiques. Vous voyez que c’est une amitié grave que la sienne et qu’il ne me traite pas en femme qui aime les romans. J’aurais voulu lui donner aussi quelque chose, mais je ne sais qu’imaginer et je ne puis pas sortir. J’enverrai demain chez Lenormand pour avoir un livre qu’il n’ait pas. Je voudrais, mon amour, que vous fussiez là pour me guider sur le choix qui m’embarrasse. Je ne le ferais pas au hasard de mal choisir ! — Wilhelmine nous a quittés à huit heures, nous laissant M. M(ounier) qui a fait avec M. C(harles) quelques parties d’échecs. Il m’a mis pendant ce teins au fait de la politique du jour et la loi des élections est revenue sur le tapis, comme vous le croyez bien. La discussion se continuera jusqu’à après-demain. Jamais question n’aura été plus fortement débattue. On ne sait pas encore quel parti l’emportera. Le ministère craint un peu que ce ne soit pas lui, mais je vois la minorité, quoique « très forte » de raison, croire assez peu à son triomphe. Quand je dis forte de raison, vous savez bien, mon amour, que je n’en trouve pas à toute la minorité et que par exemple M. de la B(ourdonnais) m’a paru aussi maladroit que dénué de ce qui constitue le bon sens[1]. Mais je dis que la raison me paraît être du côté des hommes qui improuvent la loi. — Au reste, ce sont des sujets sur lesquels je me permets à peine une opinion et où je crois que toute femme qui n’est pas folle doit se récuser. — C’est vous, cher Alphonse, qui me fixeriez sur tous ces points au-dessus de ma portée, si j’avais le bonheur de vivre auprès de vous. Vous aviez la bonté de me demander l’autre jour mon avis sur une chose de cette nature, et je crois que je vous ai dit quelle était mon opinion sur les femmes qui se permettent d’en donner aux hommes qu’elles aiment, au lieu de les recevoir d’eux. C’est de leur part que la soumission et la déférence doivent être entières, et à cet égard je fais bien mon devoir je vous assure. J’aime à reconnaître votre supériorité et j’en suis fière ! En ma qualité de femme, j’ai seulement plus de respect pour des objets consacrés par le préjugé peut-être. Mais quelle est la femme qui peut s’en dire exempte ? Que cette devise est vraie : « Un homme doit braver l’opinion, une femme s’y soumettre. » Qu’elle est vraie du moins dans presque toutes les circonstances de la vie pour les hommes : et pour les femmes, comme elle est vraie toujours ! — Je ferais donc mon bonheur et mon devoir, cher Alphonse, de prendre vos conseils et de les suivre sans restriction dans mes sentimens pour vous ; la représentation seule me paraîtrait permise, et encore ce ne serait que sur les choses où les femmes doivent avoir une opinion à elles, qui les met peut-être à même d’ouvrir un bon avis, que je pourrais discuter avec vous. Mais toutes nos raisons dites, avec quel respect, cher Alphonse, je me soumettrais à votre décision ! Que je serais une bonne femme avec vous ! Que j’en suis une ordinaire pour un autre ! Ce que c’est que l’amour ! Quelles vertus il inspire quand l’objet qui l’a fait naître en est digne ! Je sens que mon Alphonse pourrait ni élever jusqu’au sublime !

  1. La Chambre élue au lendemain de la dissolution de la Chambre introuvable, discutait alors le projet de loi qui fut volé le 5 février 1817 et qui abrogeait l’élection à deux degrés. Le comte de La Bourdonnais, par la façon dont il combattait le projet, en s’efforçant de compromettre le Roi, souleva des murmures dont on retrouve la trace au Moniteur.