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dans la coulisse, Bossuet se cache derrière le Très-Haut ; Goerres se découvre ; il précède Dieu, il le devine ; et si Dieu voulait se taire, il lui arracherait ses tacites pensées. L’évêque ne parle qu’après Dieu ; le laïque par le au nom de Dieu.

D’une même haleine, le commentaire des âges antérieurs expirait, sur les lèvres de Goerres, en prédictions d’avenir ; et lorsque, en 1827, l’Eos, journal catholique fondé par un converti, publia son article apocalyptique sur le Miroir du temps, il semblait à Diepenbrock voir se dérouler dans les colonnes de l’Eos un vieux rouleau de parchemin d’Isaïe. Goerres, avec une fantaisie luxuriante, aimait à se représenter les prochaines commotions qui menaçaient la terre à mesure qu’elle se détachait du ciel.

Mais il voulait encore faire besogne d’historien, lorsque, devant des auditeurs éblouis dont l’un s’appelait Montalembert, il professait ses leçons sur la Mystique. N’était-ce point, en quelque façon, poursuivre l’étude de l’histoire terrestre, que de contempler en tous leurs épisodes, les plus augustes comme les plus baroques, les plus purs comme les plus indécens, les plus authentiques comme les plus discutables, toutes les projections du ciel et de l’enfer dans la vie de la terre ? Dans sa préface aux œuvres d’Henri Suso, traduites par Diepenbrock, Goerres avait trouvé de poétiques accens pour célébrer ces « oiseaux de tempête » qu’avaient été les mystiques du moyen âge :


Ils cherchaient le calme, écrivait-il, dans le centre mystérieux des êtres, dans la divinité qui mire sa douce beauté, sa face rayonnante, dans les eaux qui sont au-dessus du ciel, comme dans celles qui sont au-dessous. Ils ont renoncé à l’élément infidèle qui, remué continuellement par des puissances furieuses, déplaçait et défigurait l’image qu’ils s’efforçaient de conserver intacte ; et après avoir pris leur essor vers cette région plus tranquille au-dessus du firmament, ils se bercèrent, comme des cygnes du ciel, dans ses ondes limpides.


Il montrait avec allégresse, dans cette même préface, comment les études de mystique « soustraient l’esprit à l’influence raidissante des lois de la nature. » Il fallait à ce prophète quelques aventures spéculatives nouvelles : un ordre de connaissances existait, que les catalogues de bibliothèques qualifiaient lestement de « philosophie fausse et fanatique ; » c’était la mystique ; Goerres s’y jeta. Il lançait un premier volume où la physiologie tenait la plus grande place ; il s’en allait visiter de pieuses