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est surtout fille de l’esprit, il va sans dire que le mot, quand on parle d’un tel musicien, doit se prendre au sens large d’intelligence ou d’entendement et s’appliquer à l’ordre entier des sons.

Sur la partition d’Hélène, discrète et tempérée à dessein, toujours claire, éclatante rarement, il n’y a que deux grands coups de lumière : l’un au commencement et l’autre à la fin. Le dernier, un peu cru, consiste dans l’explosion ou l’apothéose du thème d’amour, aux sons d’un orchestre où bruissent les zéphyrs et les flots. Et, de ce thème esquissé parfois au courant de l’ouvrage, les esquisses nous avaient plus touché, plus finement, que le suprême éclat. En soi la mélodie est inégale, ayant pour centre, ou pour corps, une assez banale progression, qu’une cadence sinueuse et charmante résout.

La première scène au contraire est d’un coloris sobre et vif. Une introduction d’orchestre, d’un orchestre qui bouillonne, où deux rythmes se contrarient et se rompent l’un l’autre ; quelques mesures d’un chœur invisible, que des tambourins accompagnent sous les portiques du palais illuminé dans la nuit ; mille échos de joie et de fête ; des tonalités et des modulations de cristal, des sonorités limpides et qui ruissellent, cela n’est rien, cela passe comme un éclair, mais cela ne se peut oublier.

Entre ces deux notes de lumière, l’apparition et la prophétie de Pallas fait une belle tache sombre. Un semblant, un soupçon d’orage l’annonce : un souffle de vent et quelques roulemens de tonnerre, pas davantage ; mais au double point de vue de la vérité naturelle et de l’originalité musicale, ce petit incident atmosphérique ne laisse rien à désirer. La déclamation très noble de la déesse se pose et se développe ensuite sur des dessous d’instrumentation et d’harmonie à la fois solides et doux ; enfin l’orchestre, qui s’anime, ajoute son commentaire, pathétique sans mélodrame, au récit anticipé des malheurs d’Ilion. D’autres détails encore ont leur prix. A d’autres signes, épars, se reconnaît l’artiste, grand en de petites choses. Avec autant de finesse qu’il note l’orage, il surprend, il fixe un retour de soleil. Tantôt c’est par une série d’accords qui frissonnent et montent, tantôt par un trio d’un instant, pour violon, alto et violoncelle, et cet instant de musique pure, j’allais écrire de musique de chambre, est délicieux.

Deux ou trois passages du monologue d’Hélène témoignent que jamais, pour servir de plus délicates pensées, le musicien n’eut la main plus sûre. De l’âme partagée de l’héroïne, la musique exprime ou plutôt indique ici moins un ferme vouloir que de faibles et changeantes