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charmante, par M. Gabriel Pierné. Il y a dans le sujet et dans l’esprit, dans le titre seul de la Croisade des enfans, dans les noms sacrés qu’on y entend partout retentir, quelque chose de suspect et de proscrit. La Ville de Paris a montré plus de faiblesse. Il convient de l’en féliciter et de s’en réjouir. Ayant couronné l’œuvre, elle a même accordé davantage. Elle a permis que les petits héros de la légende en fussent les interprètes et les enfans de ses écoles ont pu chanter le Dieu dont on ne leur par le plus.

« Vers ce temps-là, beaucoup d’enfans sans chef et sans guide s’enfuirent ardemment de nos villes et cités vers les pays d’outre-mer. Et quand on leur demandait où ils allaient, ils répondaient : « A Jérusalem, pour quérir la Terre sainte… » Ils portaient escarcelles, bourdons et la croix. Et certains venaient depuis Cologne ; Ils arrivèrent jusqu’à Gênes et montèrent sur sept grandes nefs pour traverser la mer. Et une tempête s’éleva, et deux nefs périrent ; et tous les enfans, d’icelles deux nefs furent engloutis. Et lorsqu’on interrogea ceux qui revinrent pour connaître la cause de leur départ, ils répondirent : « Nous ne savons point[1]. »

Telle est la légende extraite par M. Schwob d’anciens et mystiques récits. Mais ce résumé ne dit pas tout ; sur un point même, il a tort et le poète l’a délicatement corrigé. Le poète a voulu que les gentils croisés prissent un chef et même deux : un petit garçon, Alain, et Allys, une petite fille, et que le petit garçon fût aveugle, et que l’une menât par la main l’autre qui les conduisait tous par la foi.

L’œuvre se divise en quatre parties : le Départ, la Route, la Mer et le Sauveur dans la tempête. Ce dernier tableau s’appellerait aussi bien l’Arrivée. Arrivée sans retour, car le poète, avec raison encore, n’a pas laissé revenir une seule des sept nefs enfantines et tous les innocens pèlerins ont trouvé pour jamais, plus près et plus loin qu’ils ne l’auraient pu croire, Celui qu’ils étaient allés chercher.

Ce joli sujet n’a qu’un défaut : la monotonie, et la musique, après la poésie ou avec elle, ne l’a pu complètement éviter. Il eût suffi, pour y échapper, de fondre la dernière partie avec la précédente, la seule qui flotte et traîne un peu ; de supprimer, pour agréable qu’elle soit, la « Légende des étoiles » et les chœurs surérogatoires qui suivent, et de passer ainsi plus vite, sans entr’acte, de l’embarquement à la tempête et au naufrage. A cela près, l’œuvre a la diversité — relative — dont se contente l’oratorio, genre où l’intérêt, où la matière même

  1. Chroniques d’Albert de Stade, de Jacques de Voragine et d’Albéric des trois fontaines. Année 1212.