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de la musique n’est pas l’action, mais le sentiment, et le sentiment religieux. Aussi bien, sans jamais chercher de contrastes faciles, et factices, le compositeur n’a pas négligé çà et là certains effets, dramatiques avec discrétion : le chœur des pères et celui des mères au premier tableau ; le bref et rude appel des mariniers génois au troisième ; au dernier, la tempête. De tels mouvemens animent l’unité mystique de l’ouvrage, mais ils n’ont garde de la rompre ou seulement de l’altérer.

Vocale et chorale, voilà ce qu’est avant tout la partition de M. Pierné. Beaucoup plus que d’instrumens, elle est une symphonie de voix. Nous disons bien : symphonie, où les soli, malgré leur importance et leur beauté, ne tiennent jamais que la seconde place. Instaurate choros. M. Pierné rétablit cet élément ou cette catégorie de l’idéal sonore : le chœur, dont on nous a privés depuis trop longtemps. Depuis trop longtemps, le théâtre surtout ne vit guère que du monologue, et le dialogue n’y évite rien avec autant de soin que de tourner au duo. Quand on croyait la polyphonie des voix, ou, comme disaient les Grecs, la lyrique chorale, au moment de se perdre et de mourir, on ne goûte pas médiocrement le plaisir de la retrouver vivante.

En outre, et dans l’ordre de la musique ou de la musicalité pure, voici l’originalité de l’œuvre et la surprise charmante qu’elle nous réservait. Le chœur, qui la constitue presque tout entière, est un chœur d’enfans. Il est vrai que d’autres chœurs, féminins ou virils, y répondent ou s’y mêlent souvent. Mais après, mais parmi tous les autres, le chœur enfantin reprend ou garde l’avantage ; et ce n’est pas seulement l’oreille, c’est l’esprit, c’est l’âme, qui trouve à ce courant sonore, toujours frais, toujours clair, une délicieuse et nouvelle douceur.

La nouveauté musicale n’est ici que le signe de sentimens nouveaux, ou du moins renouvelés par le fait seul que des cœurs d’enfans les éprouvent et que des voix d’enfans les expriment. La musique depuis des siècles ne compte plus ses héros sacrés ; mais jamais encore elle ne les avait pris si petits. Attendrie par eux, quelquefois presque tremblante devant eux de respect et d’amour, afin de ne les point trahir et de les figurer dignement, elle leur a voulu ressembler. Elle s’est faite leur sœur : innocente, sincère, en un mot enfant comme eux. Et la foi, la piété, la prière, l’extase, dont on croyait connaître toutes les représentations musicales, ont pris ainsi des formes et des couleurs, des nuances au moins que nous ne leur connaissions pas.

Il n’y a pas un cantique, dans cette œuvre où les cantiques abondent, qui ne respire en quelque sorte l’âme même de l’enfance.