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approuver les manifestations. Évidemment, le mouvement gréviste n’a pas été spontané. Le sort des ouvriers est très misérable, nous le voulons bien ; mais il ne l’est pas aujourd’hui plus qu’hier ; peut-être même l’est-il moins, puisque le malheur des circonstances leur assure dans les fabriques d’armes du travail pour quelque temps. Ils ont refusé ce travail et demandé des réformes politiques : voilà le fait dans toute sa simplicité. Les partisans des réformes avaient besoin d’une armée pour les imposer ; ils l’ont recrutée parmi les ouvriers. Si tous n’ont pas fait ce raisonnement, quelques-uns l’ont fait, et ils ont cru trouver une opportunité particulière à la démonstration du 22 janvier dans ce qui aurait dû la déconseiller le plus en ce moment.

Il n’en reste pas moins vrai que ce besoin des réformes est aussi général en Russie qu’il est légitime. De quelque côté qu’on regarde, au Nord, au Sud, à l’Est, à l’Ouest, partout on le constate avec le même caractère d’intensité et d’unanimité : dès lors, il n’y a pas de gouvernement qui ne soit obligé d’y donner quelque satisfaction. Les manifestations des zemstvos, toutes timides qu’elles aient été, ont été significatives. Ces assemblées provinciales, qui n’ont que des fonctions administratives et locales, ne sont nullement la représentation légale du pays ; mais comme il n’y en a pas d’autre, et que le besoin d’une représentation quelconque se fait sentir de plus en plus impérieusement, faute de mieux on s’est tourné vers les zemstvos, et on continue d’en attendre quelque chose. Ils ont le mérite d’exister, d’être une institution russe et non pas une institution d’importation étrangère, enfin d’avoir acquis dans un fonctionnement déjà long une expérience administrative dont on pourrait tirer parti. Les réunions de leurs délégués, d’abord à Moscou, puis à Saint-Pétersbourg, ont donné pendant quelques jours une espérance et une direction à l’opinion ; mais l’espérance n’a pas tardé à se dissiper et la direction à se perdre. Un gouvernement plus habile ou plus expérimenté aurait pu entretenir la première et s’emparer de la seconde. C’est parce qu’on ne l’a pas fait que le mouvement a pris une allure de plus en plus inquiétante. Certaines manifestations individuelles ont frappé vivement les esprits au dedans et au dehors : il faut mettre au premier rang celle du prince Troubetskoï, président du zemstvo de Moscou, qui, dans une lettre dont l’effet a été très grand, a déclaré que la Russie était au bord d’une révolution, et qu’on ne pourrait y échapper qu’en faisant droit aux revendications du pays. Le gouvernement a cru avoir un autre moyen : il a usé d’une répression énergique, propre à suspendre