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et l’affirmait solennellement, en conviant « tous les hommes de science et de pratique, amis du bien, pénétrés de l’esprit de justice, désireux d’assurer la paix sociale, à une autre œuvre déjà commencée, mais non achevée, et qui, pour être menée à bonne fin, demande autant d’activité que de dévouement. » Il terminait son discours en ces termes :


On a vu de notre temps surgir tout un peuple nouveau, celui des travailleurs. Les lois de la Révolution avaient supprimé les anciennes corporations. Puis les interminables guerres de la République et de l’Empire avaient suspendu le commerce et l’industrie ; les hommes étaient aux armées et non dans les ateliers[1]. La paix rétablie, le travail reparut ; les rapports entre patrons et ouvriers se multiplièrent, se compliquèrent, se transformèrent. On repoussait désormais le patronage pour se placer exclusivement sur le terrain du droit. Mais où se trouvait ce droit des travailleurs ? On l’aurait en vain cherché dans le Code civil. Une législation nouvelle s’imposait ; on s’est mis à la tâche, tâche particulièrement lourde et difficile.

Dans la lutte pour la vie, l’enjeu n’a jamais été aussi formidable ; il y va de la fortune publique, de la liberté des citoyens, du progrès de l’humanité. Il nous faut un second code. Il a déjà été préparé en partie par un certain nombre de lois. Ce Code du travail doit être inspiré par l’esprit de justice, de sorte que ces deux codes, loin d’entrer en conflit l’un avec l’autre, se compléteraient réciproquement et se joindraient comme les deux mains du corps social pour apprendre à tous leurs devoirs et assurer le respect de leurs droits.


Un autre professeur de la même Faculté, M. E. Thaller, confirme expressément et explicitement l’opinion de son doyen : il constate, lui aussi, les lacunes du Code civil en ce qui est du travail, puis il ajoute :


Sans se livrer à des dissertations de haut vol sur les destinées de la Révolution française… un fait paraît positif. La Révolution, prise dans sa période héroïque, a servi les desseins des classes moyennes, de ces classes qui ont été appelées « classes dirigeantes » pendant la plus grande partie du XIXe siècle… Dans la Révolution, il n’y a pas de principe populaire engagé, et ce sont les classes moyennes qui en ont recueilli le profit. Le Code civil a dû nécessairement se pénétrer de cette nature d’œuvre de bourgeoisie, qui est celle de la Révolution elle-même…

Ce droit était essentiellement propice à la mise en valeur du capital immobilier et mobilier. Il était fait pour l’homme de bourgeoisie et pour le

  1. M. Hubert-Valleroux, dans la séance de la Société d’Économie sociale du 18 avril 1904 (consacrée au Code civil et à son centenaire), définissait ce décret-loi « une sorte de Gode de l’industrie un peu oublié aujourd’hui, mais qui a été longtemps en force et dont une partie des dispositions sont encore en vigueur. »