Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/790

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paysan. Avec la discipline de la famille et la liberté de contracter, il devait ménager à l’individu le moyen d’améliorer son sort. Pour conserver, pour étendre une fortune déjà en formation, le Code civil était excellent…


Quant aux motifs de cet absolu silence du Code sur les problèmes du travail et de sa prédilection jalouse pour la propriété, pour le droit individuel, ce sont, politiquement et socialement, ceux que nous avons nous-mêmes indiqués : — ignorance forcée ou volontaire de la grande industrie à peine naissante ; haine et terreur de la corporation dégénérant en terreur et en haine de la simple association ; nécessité de reconsolider la terre de France que la vente des biens nationaux avait brutalement mobilisée ; — par là-dessus, ou là-dessous, idées et sentimens personnels des quatre commissaires, Portalis, Tronchet, Bigot de Préameneu, Maleville, et de ceux qui devaient plus tard collaborer, par la discussion, à la rédaction définitive, qui étaient des hommes du XVIIIe plus que du XIXe siècle, des bourgeois et des gens de Parlement, des légistes nourris de Pothier et des physiocrates imbus de Quesnay[1]. Après l’avoir noté, en passant, d’un trait vif, M. Thaller reprend (et nous avons encore la bonne fortune qu’il corrobore ce que nous avions dit)[2] :


Voilà pour l’époque contemporaine du Code. Aujourd’hui, en 1904, le citoyen-type ne répond plus à ce signalement. La Révolution s’est continuée ou reprise avec des élémens nouveaux, avec un programme de réformes qu’on ne pouvait soupçonner il y a cent ans. La population, prise en son ensemble, tourne sur un autre pivot : l’axe a été déplacé.

Un moment est venu où une matière sociale diffuse s’est agglomérée. Il s’est constitué une masse nationale présentant un tout autre caractère que la bourgeoisie : c’est l’ensemble des travailleurs. Elle grandit sous le gouvernement de Juillet à l’ombre des sociétés secrètes, conquiert le suffrage universel en 1848, forme la population des usines ; le capital, en se groupant, groupe en face de lui les ouvriers, qui deviennent une force contraire. La puissance politique passe insensiblement au nombre, qui a des bras pour instrument d’existence, et point de ressources préconstituées.

Ces nouveaux occupans prennent conscience de leurs droits. Ils cherchent protection dans le Code civil ; ce Code leur donne, quoi ? Un état de famille qui, en réalité, n’est par le leur, un contrat de louage de services en deux articles avec une liberté qui n’est que nominale. Si bien que toute la source légale à laquelle ils puisent les moyens de vivre, le Code l’a en quelque sorte tarie d’avance.

  1. Voyez dans la Revue du 15 décembre 1900, le Travail dans l’État moderne.
  2. Voyez dans la Revue des 15 mars, 1er août et 1er novembre 1901, le Travail, le Nombre et l’État. — Les Faits, les Idées, les Lois.